Même s'il a déjà remporté de nombreux prix en Espagne, Alberto Rodríguez n'est pas encore très connu sur la scène internationale. Marshland (La Isla Mínima), son cinquième long métrage (auréolé de 10 prix Goya), pourrait changer la donne. Le cinéaste a bien voulu répondre à nos questions.

Vous avez campé le récit de votre thriller dans les années 80, une époque charnière au cours de laquelle l'Espagne s'est démocratisée après des décennies de dictature franquiste. Vous étiez enfant à cette époque. D'où vient votre intérêt ?

J'étais âgé de 9 ans en 1980, mais j'ai des souvenirs très vifs de l'enthousiasme collectif qui régnait à l'idée d'accéder enfin à la démocratisation tant espérée. En même temps, j'ai aussi le souvenir d'une campagne andalouse très sordide, très pauvre. Comme si les vestiges de l'ancien régime pesaient encore lourdement, de façon constante. C'est en visitant une exposition d'un photographe de Séville, Atín Aya, que l'idée de ce film est venue. Aya a su parfaitement capter dans son oeuvre l'esprit de la fin d'une époque.

Y a-t-il encore des résonances de cette époque dans la société espagnole d'aujourd'hui ? Des blessures non cicatrisées ?

Beaucoup de choses n'ont jamais été réglées. Il y a encore plein de fantômes. Par exemple, toutes ces victimes dont les dépouilles n'ont jamais été rendues à leurs familles. Des tabous subsistent à propos de l'époque de Franco. Ce que mon film évoque, en fait, c'est que la transition entre l'ère franquiste et la démocratisation s'est opérée de façon si brutale que bien des choses sont restées en suspens. Il y a encore trop de zones d'ombre à propos de cette époque.

Même s'il est campé dans une époque très évocatrice sur le plan politique et social, il reste que Marshland-La Isla Mínima est avant tout un thriller qui fonctionne d'abord sur la base d'un suspense.

J'adore regarder des films noirs, j'adore lire des romans noirs. Je suis fou de ça. Voilà un genre qui force les personnages à dépasser leurs limites tout en évoquant au passage des thèmes beaucoup plus larges. J'ai une grande admiration pour les maîtres - John Houston, John Ford et Billy Wilder - , mais j'aime aussi beaucoup ceux qui sont parvenus à réinventer le genre, à lui donner un nouveau souffle. Les frères Coen, David Fincher, Bong Joon-ho...

Comment en êtes-vous venu à faire du cinéma ?

Le cinéma m'a toujours intéressé. J'y suis venu très vite après avoir travaillé à la télé pendant quelques années. Ce qui compte surtout est de raconter une bonne histoire. À mon sens, une bonne histoire doit aussi avoir une résonance sociale, faire réfléchir.

Vos films précédents ont souvent été primés en Espagne, mais Marshland-La Isla Mínima est le premier qui obtient une véritable distribution sur le plan international. Comment expliquez-vous le succès de ce film ?

Je trouve cela d'ailleurs un peu étrange, car à mes yeux, mes films précédents étaient plus « commerciaux ». Cela dit, le producteur et toute l'équipe de marketing ont toujours cru au potentiel du film sur le plan international. Je ne pourrais vous dire ce qui a particulièrement plu au public et aux gens de l'industrie. Cela reste un mystère pour moi. C'est aussi ça, la beauté du cinéma. Il n'y a pas de recettes ni de formules magiques. C'est imprévisible. 

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Marshland (La Isla Mínima) (Anatomie d'un double crime en version originale avec sous-titres français) est présentement à l'affiche.