Après s'être montré décharné et affamé dans Nightcrawler de Dan Gilroy, et avant de chausser les crampons pour Everest de Baltasar Kormakur (qui ouvrira la Mostra de Venise) et de porter le costume-cravate d'un banquier pour Demolition de Jean-Marc Vallée, Jake Gyllenhaal grimpe sur le ring dans Southpaw d'Antoine Fuqua.

Mais, en fait, peu importe le rôle, l'acteur de 34 ans mène sa carrière comme un combat de boxe. Toujours à la recherche de défis. Toujours prêt à se mettre en danger. «Une des raisons qui me poussent vers certains personnages est que je doute avoir la capacité de les jouer», confiait-il lors d'une entrevue accordée à La Presse au moment de la sortie de Prisoners de Denis Villeneuve (avec qui il a aussi tourné Enemy).

C'était exactement le cas avec Billy Hope, le boxeur qu'il incarne dans le nouveau drame d'Antoine Fuqua (Training Day, The Equalizer): avant d'enfiler ces gants-là, Jake Gyllenhaal n'était pas amateur de boxe, connaissait très peu ce sport.

On note ici l'imparfait. «Je me suis entraîné pendant cinq mois avant le début du tournage, deux fois par jour... pour qu'au bout du compte, ce soit l'équivalent de 10 mois d'entraînement», indiquait-il lorsque La Presse l'a rencontré à Toronto, la semaine dernière.

«J'étais terrifié par l'idée d'avoir l'air de ne pas savoir ce que je faisais... et ç'a été une des raisons pour lesquelles j'ai accepté ce rôle», poursuit l'acteur caméléon, qui commence invariablement à se préparer et à se transformer de l'intérieur: «Je m'immerge complètement dans la vie du personnage, j'analyse, j'observe sa réalité par tous les angles possibles. Je l'approche d'abord de manière intellectuelle. Pour cela, je lis sur le sujet. D'excellents livres ont été écrits sur la boxe, j'en ai lu plusieurs.»

L'immersion s'est poursuivie bien sûr grâce à l'entraînement, mais également en observant des boxeurs - sur film et en réalité. Pendant des semaines, Jake Gyllenhaal, Antoine Fuqua (qui, chaque matin, s'est entraîné avec l'acteur) et leur entraîneur, l'ancien boxeur professionnel Terry Claybon, ont assisté à de nombreux combats afin de «sentir l'atmosphère, d'observer l'entourage et de piquer, ici et là, des trucs d'avant et d'après combat».

L'art de devenir

Tout cela pour «devenir» Billy Hope dans un film de boxe. Qui n'est pas «qu'un film de boxe» ou «un autre film de boxe». Et dans lequel Jake Gyllenhaal n'est jamais doublé.

C'est ce que visaient l'acteur et le réalisateur, dans cette histoire d'un champion du monde poids lourd-léger qui vit dans le luxe et le bonheur en compagnie de sa femme (Rachel McAdams) et leur fille (Oona Laurence). Jusqu'à ce qu'une tragédie pulvérise sa vie et qu'il se retrouve au fond du baril. Pour en sortir, il devra repartir à zéro. Entre autres, grâce à l'aide d'un entraîneur local (Forest Whitaker).

À l'origine, le projet émanait d'Eminem. Le rappeur souhaitait refaire The Champ (1979). A approché le scénariste Kurt Sutter à cette fin. Le créateur de Sons of Anarchy a mis le projet à sa main. Y a intégré la spirale dans laquelle Eminem s'est enfoncé après la mort violente de son meilleur ami, Proof, et la relation tissée serré qu'il a avec sa fille, Hailie Jade.

C'est d'ailleurs le lien entre Billy et son enfant qui a d'abord frappé - et touché - l'acteur qui a pris le relais du rappeur lorsque celui-ci, coincé par la production de son nouveau disque, s'est désisté.

Il a aussi vu Southpaw comme le drame d'un homme-enfant: «Il est orphelin, il a grandi dans les institutions. Et il est infantile. Il porte en lui une colère, une rage qui lui ont permis d'atteindre des sommets de richesse, de gloire, d'adulation... jusqu'à ce qu'elles commencent à le détruire. Il doit grandir afin de s'en sortir.»

Pour rendre cela, l'acteur ne s'est pas inspiré de films de boxe, mais plutôt de drames sociaux comme My Name is Joe de Ken Loach. Et s'il a à comparer le parcours de Billy à l'écran, il voit plus de similitudes avec celui du personnage qu'incarne Vincent Lindon dans La loi du marché qu'avec celui de Rocky Balboa.

Changement de cap

Jake Gyllenhaal relate également combien il a été interpelé par cette phrase qu'Antoine Fuqua lui avait dite un jour: «Je veux te montrer à l'écran tel que personne ne t'a encore jamais montré.» Il l'a cru: «Antoine a un style de réalisation "musclé" et je savais qu'il allait filmer les scènes de boxe comme personne avant.»

Enfin, il y avait cette chose très personnelle. La colère de Billy Hope, sa rapidité à réagir lorsque ce sentiment prend le dessus sur la raison, Jake Gyllenhaal les comprend: «J'ai lutté contre ça toute ma vie. Ce film était pour moi une façon intéressante et sûre d'explorer cela», fait celui qui mène sa carrière à sa manière: «Il y a une poignée de personnes à qui je demande conseil mais, au bout du compte, je me fie à mon instinct.»

C'est ainsi qu'il mène sa carrière. D'où le virage professionnel effectué en 2010. Cette année-là, il a été la tête d'affiche de la comédie romantique Love & Other Drugs et de l'adaptation cinématographique du jeu vidéo Prince of Persia: The Sands of Time. La voie semblait pavée pour qu'il devienne l'ixième jeune premier «sauce hollywoodienne».

Et alors qu'on l'attendait là, il a opté pour le cinéma indépendant. S'est rasé le crâne pour End of Watch. A maigri pour Nightcrawler. S'est dédoublé pour Enemy. A carburé, sous les muscles sculptés, à la rage et à l'adrénaline pour Southpaw.

«J'ai décidé un jour, conclut-il, de faire les choses que je veux faire et non celles que les gens pensent que je devrais faire.»

Pour cela, il travaille dorénavant avec des personnes qu'il aime et qui l'aiment. Des gens qui attendent de lui qu'il soit extraordinaire. Et là, il monte sur le ring en leur compagnie. Prêt à tous les efforts pour les mettre K.-O. par sa performance.

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Southpaw (Le gaucher) prend l'affiche le 24 juillet. Les frais de voyage ont été payés par Les Films Séville.