Pour son deuxième long métrage, le réalisateur Brice Cauvin a transformé un roman américain - L'art de la fugue de Stephen McCauley - en un authentique film français, dans la veine des Rohmer et Lelouch. Discussion avec un amoureux des personnages et des comédiens.

L'art de la fugue, charmant film « choral » mettant en vedette Laurent Lafitte, Agnès Jaoui, Benjamin Biolay et Nicolas Bedos, a connu un certain succès en France, si bien que le réalisateur Brice Cauvin se fait dorénavant proposer des adaptations de romans. 

« Pour une fois, ce n'est pas un Américain qui adapte un roman français, mais un Français qui adapte un roman américain », note celui qui a longtemps travaillé comme aide-réalisateur avant de faire le grand saut à la réalisation avec le film De particulier à particulier, en 2006.

Brice Cauvin est tombé sous le charme du roman de Stephen McCauley, qui raconte avec humour et tendresse la dérive existentielle de trois frères très différents, tous en fuite dans leur vie de couple. 

Antoine (Laurent Lafitte) a tout pour être heureux avec son conjoint, mais il est en manque de passion et fait chambre à part. Gérard (Benjamin Biolay) n'accepte pas d'avoir été largué par sa femme et se console avec la collègue d'Antoine, Ariel (Agnès Jaoui). Enfin, Louis (Nicolas Bedos) est sur le point de se marier, malgré sa grande flamme pour une maîtresse, ce qui énerve ses deux frères... 

« Dans les romans de McCauley, il ne se passe pas grand-chose, mais les personnages sont formidables, pleins d'ambiguïtés, résume Brice Cauvin. Ce sont trois frères à la ramasse, c'est ce qui me fait rire. Les atermoiements, les lâchetés, les hésitations, c'est un miroir de la vie de couple. L'autre dimension qui m'a plu, c'est que l'auteur ne fait aucune différence sexuelle. Le couple gai est raconté comme n'importe quel autre couple, il n'y a pas de problématique homosexuelle. J'aime cette banalisation. »

C'est pourtant cette banalisation que certains journaux de droite lui ont reprochée. Que pense Brice Cauvin de ces manifestations contre le mariage pour tous qui ont fait l'actualité ? 

« Je suis contre le mariage, en fait, contre l'institution, mais je suis pour le mariage pour tous. Je trouve que tout le monde doit avoir ce droit. J'avais envie de montrer que non, ce n'est pas un problème. C'est important que la France et le gouvernement français mettent ça dans leur programme. Les États ont le devoir de faire évoluer les mentalités en rendant ça possible. Mais on aime bien les rapports conflictuels en France. C'est ce qu'on appelle l'esprit de clocher. Il faut s'affronter. Si un camp défend une idée, l'autre va se montrer encore plus véhément. Moi aussi, je suis comme ça. Je m'engueule avec mes amis tout le temps, mais je préfère m'engueuler avec eux qu'avec mes ennemis, parce que mes ennemis ne le méritent pas... »

Lorsqu'on lui dit que L'art de la fugue rappelle les comédies françaises de Lelouch ou Rohmer avec tous ces chassés-croisés amoureux, Brice Cauvin est ravi. 

« Je suis très influencé par la Nouvelle Vague, ce sont ces cinéastes qui m'ont construit. Mon maître, c'est François Truffaut. Je ne suis pas intéressé par les films d'action, j'aime les films de personnages. Ce qui m'intéresse avant tout, c'est l'être humain, je trouve que les histoires n'existent que quand les personnages sont forts. Aujourd'hui, il faut des scénarios avec un rebondissement à chaque page. Nous avons de grosses productions à l'américaine, mais en s'industrialisant, le cinéma a perdu une certaine liberté. »

Tout de même, le roman est américain. Il a bien fallu l'adapter à la culture française, ce qui a été un gros travail d'écriture, selon le réalisateur, qui a reçu l'aide et les commentaires d'Agnès Jaoui. 

« Les personnages sont universels, dit-il, mais le travail d'adaptation est culturel. La façon de parler, surtout. Les Américains ne s'expriment pas du tout comme les Français, ils disent les choses directement. Par exemple, quand le personnage d'Ariel dit : "I want to change my life." Personne ne dirait cela en France. On utilise des métaphores. On dit "j'en ai marre de mon boulot" et l'interlocuteur doit comprendre qu'on veut changer de vie. J'ai essayé d'écrire une histoire française à partir de ces personnages, dans le contexte d'aujourd'hui. »

Et ce contexte, c'est la crise. Les personnages, en crise personnelle, ne cessent de répéter cette phrase, qui explique le spleen du pays, mais qui est aussi, parfois, une excuse pour ne pas changer. 

« Ils sont dans la contradiction en permanence, mais en même temps, je trouve que c'est la vie qui est comme ça. Sans contradiction, c'est la mort. Tout ce qui est vivant s'exprime dans les contradictions. Si la vie de couple ressemblait à une image parfaite, ce serait mort ! »

L'art de la fugue est présentement à l'affiche.

Le roman L'art de la fugue de Stephen McCauley a été réédité aux éditions BakerStreet, avec des photos du tournage et une conversation entre Stephen McCauley et Agnès Jaoui.