Film lauréat du César du meilleur documentaire, finaliste aux Oscars, Le sel de la Terre fait écho au parcours d'une vie, celle du photographe brésilien Sebastião Salgado. Regards croisés d'un fils, Juliano, et d'un admirateur, Wim Wenders.

Juliano Ribeiro Salgado garde un très vif souvenir de la présentation du Sel de la Terre en primeur mondiale au Festival de Cannes l'an dernier. Sélectionné à Un certain regard, où il a en outre reçu le Prix du jury, le film documentaire consacré à l'oeuvre de son photographe de père a eu droit à une ovation. Le cinéaste, qui signe le film en coréalisation avec Wim Wenders, avoue avoir été surpris par cette réaction enthousiaste.

«Quand on lance un film à Cannes, on perd dix ans de sa vie en deux heures! lance Juliano Ribeiro Salgado lors d'une interview accordée à La Presse. J'ai dû faire des exercices de respiration pendant la projection. Tout me semblait raté! Je regardais Wim pendant cet accouchement et je voyais bien qu'il était aussi angoissé que moi. Puis, le film se termine, la première ligne de crédit arrive, et un spectateur se met à applaudir. Quelques secondes après, toute la salle s'y met, et plusieurs se lèvent en applaudissant. C'est complètement dingue!»

D'autant plus dingue que le film a suivi un parcours exemplaire pendant les mois qui ont suivi.

Le sel de la Terre a en effet remporté le César du meilleur documentaire de l'année et il a aussi fait partie des cinq films sélectionnés aux Oscars dans cette catégorie.

Une genèse compliquée

Cette forme de consécration paraissait pour le moins surréaliste aux yeux du cinéaste. D'autant que la genèse du film a été passablement compliquée. Dans sa volonté d'aller au-delà du simple portrait d'un photographe au travail, Juliano Ribeiro Salgado a dû aussi faire écho à la vie de celui qui a su capter avec sa caméra les grands bouleversements du monde. Et au questionnement intime qui en découle.

Autrement dit, le cinéaste est parti à la rencontre d'un père qu'il a peu ou mal connu. «Au départ, je ne pensais jamais faire un film sur Sebastião, indique-t-il. Pour dire la vérité, nous avons entretenu une relation plutôt conflictuelle. Cela n'est pas inhabituel entre un père et un fils, remarquez.

«Puis, en 2004, il m'a un peu forcé la main pour que je l'accompagne dans un long projet photographique, intitulé Genesis, où il est parti à la recherche des paradis originels. J'avais très peur, mais finalement tout s'est bien passé. Quand nous sommes revenus, j'ai monté les images que j'avais tournées en un court métrage de 20 minutes. Il a été très ému de la perception que j'avais de lui. Ça m'a donné confiance. Le moment était peut-être maintenant venu de faire un film sur lui. Je savais toutefois qu'un regard extérieur allait être nécessaire.»

D'où l'entrée de Wim Wenders dans le projet. Déjà admiratif du travail de Sebastião Salgado, dont il garde quelques photos bien en vue dans son bureau, le réalisateur des Ailes du désir a accepté de suivre le père et le fils dans leur voyage.

«Nous avons commencé à échanger des courriels avec Wim et nous nous sommes rendu compte qu'à cette étape, nous partagions la même vision, fait remarquer Juliano Ribeiro Salgado. Ce qui nous semblait intéressant dans ce projet n'était pas tant de faire un film sur un photographe, mais plutôt sur un témoin privilégié du monde, tant dans ses grands drames que dans sa richesse et sa beauté.»

Des heurts au début

Venu du reportage, aussi signataire de documentaires engagés, Juliano Ribeiro Salgado avoue qu'au départ, Wim Wenders et lui se sont lancés dans le projet avec Sebastião Salgado sans trop savoir ce qui les attendait.

«En fait, l'histoire de mon père est celle d'un type qui trouve une fonction à sa photographie, qui va trop loin, qui craque, et qui, obligé de se réinventer, le fait d'une façon qui engendre beaucoup d'espoir. C'est tout ce qu'on savait. Nous n'avions aucune idée de la manière à emprunter pour tourner, ni comment organiser la narration du film. Wim a d'ailleurs fait des interviews incroyables. Tout allait très bien jusqu'à ce qu'on se retrouve dans la salle de montage!»

Disposant d'un matériel très riche, aussi abondant, les deux hommes ont d'abord eu du mal à faire cohabiter leurs deux visions respectives.

«Il y a les informations factuelles d'un côté et la sensibilité personnelle de l'autre, souligne le coréalisateur. Quand on est deux, ça ne marche pas toujours. On s'est renvoyé la balle pendant un an. Wim trouvait très mauvais tout ce que je montais. Et je ne trouvais pas terrible non plus le travail qu'il faisait de son côté.

«Au bout d'un an, on s'est rendu compte que nous ne parviendrions pas à faire un film qui rendrait justice à l'histoire de Sebastião. C'est là que nous avons décidé de travailler le montage ensemble. De cette collaboration étroite sont venues les narrations, la structure, bref, tout s'est alors mis en place.

«Nous aurions pu faire deux films complètement différents à partir du même matériel. C'est d'ailleurs ce que nous avions commencé à faire. Mais ensemble, c'était beaucoup mieux. C'est une belle leçon, en fait!», conclut-il.

Le sel de la Terre (The Salt of the Earth en version anglaise) prend l'affiche le 24 avril. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.