Dans le nouveau film d'Olivier Assayas, Juliette Binoche campe une actrice qui doit faire face au passage du temps. La vedette de Rendez-vous a entrepris ce projet elle-même.

Le fait est peut-être peu connu, mais il arrive assez fréquemment à Juliette Binoche de soumettre des idées de scénario à des metteurs en scène. Ce fut notamment le cas pour Sils Maria, le nouveau film d'Olivier Assayas.

«Il me semble tout à fait normal que des acteurs fassent appel à des auteurs, faisait remarquer l'actrice au cours d'une interview accordée à La Presse lors du Festival international du film de Toronto, l'an dernier. Cela provient d'un désir de collaboration, d'inspiration, de création. Il s'agit presque d'un travail de production, en fait. À la différence que je ne suis pas reconnue comme productrice!»

Juliette Binoche a d'abord eu l'idée. Qui s'est installée dans son esprit comme une espèce de désir tenace. Comme une envie d'explorer des thèmes qui s'imposent après des années de carrière et de faire face à une actrice avec un questionnement qui découle de la maturité. Elle n'a toutefois pas voulu mettre dans ce personnage de véritables relents autobiographiques.

«Une fois l'idée trouvée, je me suis demandé à quel auteur et metteur en scène je pourrais la proposer, indique-t-elle. Dans ces cas-là, je suis fidèle à mon intuition. Très vite, j'ai pensé à Olivier et je l'ai appelé. Il a su entendre ce que je lui ai proposé et il a ensuite écrit son scénario.»

Des retrouvailles

Il faut remonter une trentaine d'années pour trouver le début de l'histoire que partagent Juliette Binoche et Olivier Assayas. À peine sorti de son métier de critique de cinéma à l'époque, Assayas avait écrit le scénario de Rendez-vous. Ce film d'André Téchiné, lancé au Festival de Cannes, avait révélé Juliette Binoche au monde. La Croisette s'était même spontanément enflammée pour elle. Déjà, l'histoire évoquait celle d'une actrice face à son destin.

«Mais il y a eu une très longue période pendant laquelle nos chemins ne se sont pas croisés, fait-elle remarquer. Jusqu'à L'heure d'été, plus de 20 ans plus tard, en fait.

«Olivier m'avait proposé Les destinées sentimentales, mais je n'ai pas eu envie de le faire. J'ai besoin de tomber amoureuse d'un scénario. Et là, ce n'était pas le cas. Je crois qu'il n'avait pas bien compris mon refus à l'époque. C'est peut-être pour ça aussi que je suis allée le voir. Le temps passe et vient alors cette impression qu'on est peut-être en train de rater quelqu'un. Il faut aller vers les personnes avec qui on a envie de travailler et attiser les feux. Sinon, ça meurt.»

Il y a aussi qu'aux yeux de l'actrice, Assayas était le mieux placé pour explorer à sa façon les thèmes qu'elle souhaitait aborder. 

Sils Maria relate ainsi le parcours de Maria, une actrice maintenant établie, à qui on demande de reprendre  la pièce qui a fait d'elle une vedette à l'âge de 18 ans. À la différence qu'elle doit maintenant incarner le personnage plus mûr, poussé au suicide par une jeune fille ambitieuse au charme trouble, celle qu'elle incarnait à l'époque.

Kristen Stewart, lauréate du César du meilleur second rôle, campe l'assistante personnelle de l'actrice, et Chloë Grace Moretz joue la jeune comédienne appelée à reprendre le rôle qui a jadis rendu Maria célèbre, face à celle-là même qui a créé le personnage sur scène il y a 20 ans.

«J'avais envie qu'Olivier plonge dans le féminin, explique Juliette Binoche. Qu'il ose le féminin. Je suis nostalgique des films d'Ingmar Bergman. Je sais qu'Olivier aime aussi beaucoup ces films-là et je crois qu'il a toutes les capacités d'écriture et de coeur pour plonger dans ce genre d'univers. Je lui ai donc donné deux ou trois idées pour l'inspirer, le provoquer. Mais c'est lui qui a écrit le scénario, qui a inventé l'histoire.»

Les voix intérieures

Lauréate de l'Oscar de la meilleure actrice de soutien en 1997, grâce à sa performance dans le film d'Anthony Minghella The English Patient, Juliette Binoche n'a jamais voulu entendre les appels des sirènes quand les projets offerts ne lui semblaient pas indiqués pour elle. Elle est ainsi reconnue pour avoir refusé de grands projets, menés par des pointures hollywoodiennes. En 1993, elle a préféré tourner Trois couleurs: Bleu avec Krzysztof Kieslowski plutôt que Jurassic Park avec Steven Spielberg.

«Le chemin qu'on crée doit être individuel, indépendant, souligne-t-elle. Il doit être en accord avec soi. Il ne s'agit pas d'avoir tort ou d'avoir raison, on s'en fiche, mais de suivre son propre chemin. C'est avoir foi en soi. Croire en son intuition et prêter une oreille aussi attentive aux petites voix qui font que, vu de l'extérieur, ça peut paraître complètement fou. Il faut être créateur de sa vie. C'est beaucoup plus intéressant que de répondre aux bruits extérieurs et aux appels de sirènes.»

Quand on lui demande ce que l'actrice de l'époque de Rendez-vous dirait à l'actrice plus mûre qu'elle est aujourd'hui devenue, Juliette Binoche éclate de rire. 

«Hé ben, ma vieille, t'aurais pas dû être aussi incertaine, quand même! Plus sérieusement, elle lui dirait sans doute de faire confiance à la vie. Les choses viennent au bon moment quand on y croit. À force de regarder le vide, on peut facilement tomber. Il faut donc se construire une confiance dans le doute. L'avoir su au départ, j'aurais peut-être pu vivre tout ça plus légèrement!»

Sils Maria est présentement à l'affiche.