Alors qu'un peu partout dans le monde, on sent poindre ici et là des relents d'antisémitisme, le cinéaste britannique Simon Curtis estime important un rappel de l'histoire...

Même si elle est relativement récente, l'histoire de Woman in Gold (La dame en or en version française) prend racine dans l'une des plus grandes tragédies de l'histoire de l'humanité. Le vol d'oeuvres de grands artistes par les nazis au cours de la Seconde Guerre mondiale a inspiré d'ailleurs plusieurs histoires. George Clooney en a fait le sujet de Monuments Men, son plus récent film. Simon Curtis (My Week with Marilyn), lui, emprunte un angle plus précis.

«Il y a quelques années, j'ai vu Stealing Klimt, un documentaire produit par la BBC, raconte le cinéaste au cours d'un entretien accordé à La Presse. J'ai été complètement fasciné par l'histoire qu'on y décrivait, racontée par ceux-là mêmes qui l'ont vécue, particulièrement Maria Altmann. C'était quelques années avant sa mort.»

Maria Altmann, morte en 2011 à l'âge vénérable de 94 ans, était la plus jeune d'une famille éminente de Vienne. Dans le grand appartement qu'elle habitait enfant, situé sur Elisabethstrasse, l'une des plus belles avenues de la capitale autrichienne, elle avait souvent l'occasion de croiser les plus grands artistes de l'époque. Sa tante Adèle, qu'elle adorait, était en outre l'un des modèles du peintre Gustav Klimt.

Une dépossession totale

Pendant des années, un tableau intitulé Portrait d'Adèle Bloch-Bauer 1 était simplement accroché au mur de l'appartement. Quand Maria se marie, en 1937, la jeune femme hérite alors du collier que portait sa tante, morte prématurément 12 ans plus tôt, quand cette dernière a posé pour le célèbre peintre.

Au moment où Hitler annexe l'Autriche au Troisième Reich, tout s'écroule pour cette famille juive. Pendant que Maria et son mari parviennent à s'enfuir pour aller se refaire une nouvelle vie en Amérique, la famille Bloch-Bauer est dépossédée de tout, au profit des nazis.

«Avec les années qui passent, les témoins directs de cette sombre histoire sont de moins en moins nombreux, fait remarquer Simon Curtis. Je n'ai malheureusement jamais eu l'occasion de rencontrer Maria, mais nous avons évidemment consulté sa famille, ses enfants. À mes yeux, il était important d'être rigoureux au chapitre des faits. C'est une grande responsabilité. Nous nous sommes beaucoup documentés. Et l'histoire de Maria est assez extraordinaire.»

Ayant refait sa vie en Californie, Maria Altmann s'était juré de ne jamais remettre les pieds dans le pays qui a si violemment rejeté sa famille.

En 1998, le passé resurgit pourtant quand la dame devient la dernière survivante de son clan. Maria s'enquiert alors auprès d'un jeune avocat ami de la famille, Randy Schoenberg, si, en tant qu'héritière, elle pouvait réclamer justice auprès du gouvernement autrichien. Woman in Gold retrace ainsi toutes les étapes d'une cause qui s'est retrouvée débattue dans les plus hautes instances juridiques et politiques de l'État. Dans le pays de Mozart, ce tableau est considéré comme La Joconde autrichienne. Autrement dit, il est hors de question que cette oeuvre, considérée comme un trésor national et exposée depuis des années dans un musée national, soit restituée à la requérante.

«L'histoire de Maria et du tableau est déjà bien connue, souligne Simon Curtis. Mais même si la plupart des spectateurs sont déjà bien au fait de l'issue de cette affaire, j'estimais important de replacer toute cette histoire dans son contexte. Et de faire honneur au combat d'une femme qui s'est battue pendant des années pour honorer la mémoire de sa famille.»

Helen Mirren, qui d'autre?

Dans l'esprit du cinéaste, le choix de Helen Mirren pour incarner Maria Altmann relevait de l'évidence.

«Helen a simplement lu le script et c'en était fait! indique le cinéaste. Elle a fait ses devoirs de son côté. Elle a plongé dans l'histoire de Maria en se dévouant corps et âme. Elle a vu à peu près tous les enregistrements disponibles. Elle a aussi beaucoup travaillé son accent.»

À cet égard, le cinéaste tenait à ce que les scènes se déroulant avant la guerre soient jouées en allemand. L'actrice canadienne Tatiana Maslany, vedette de la série Orphan Black, a d'ailleurs dû apprendre la langue de Goethe afin de pouvoir jouer le personnage de Maria dans ses années de jeunesse.

«Elle a été formidable, s'exclame Simon Curtis. D'autant qu'elle affiche vraiment une ressemblance physique avec Helen. Quand on a la chance d'avoir une actrice aussi exceptionnelle qu'Helen Mirren dans un projet, tout le monde est prêt à se donner à fond, en y ajoutant même un supplément d'âme.»

Depuis sa présentation spéciale au Festival de Berlin, où la critique fut plutôt mitigée, Woman in Gold a subi quelques modifications, notamment sur le plan musical. Le cinéaste a en outre allégé quelques passages trop appuyés.

«Cela dit, je suis très heureux de l'accueil qu'a reçu le film à Berlin, dit-il. Quand vous sentez une émotion que partagent en même temps 2000 personnes, c'est très gratifiant. Plusieurs Autrichiens sont venus me voir après la projection pour me dire à quel point ce film était nécessaire. Ils suggéraient aussi qu'il soit montré dans les écoles là-bas.»

Les frais de déplacement ont été payés par Films Séville.