Après le triomphe de The Artist, qui lui a valu les plus grands honneurs aux Oscars, Michel Hazanavicius n'aurait pu faire un virage plus radical. Sa muse Bérénice Bejo est sur la ligne de front d'un drame de guerre campé en Tchétchénie.

Bérénice Bejo raconte qu'à peine un mois après le triomphe de The Artist aux Oscars, qui a raflé cinq statuettes en 2012 (dont celle du meilleur film, de la meilleure réalisation et du meilleur acteur - Jean Dujardin), Michel Hazanavicius était déjà plongé dans The Search, le remake d'un film que Fred Zinnemann a réalisé en 1948.

«Nous avions vu ce film bien avant que Michel ne se lance dans The Artist, rappelait l'actrice - et muse du cinéaste - au cours d'un entretien accordé à La Presse au festival de Toronto. Déjà là, il me disait à quel point il trouvait intéressant d'en emprunter la structure et de transposer le récit dans un contexte plus contemporain.»

Modeste malgré la gloire hollywoodienne (rares sont les cinéastes pouvant se vanter d'avoir en leur possession l'Oscar de la meilleure réalisation!), Michel Hazanavicius reconnaît d'emblée que le succès mondial de The Artist lui a ouvert toutes les portes. Reconnu jusqu'à maintenant grâce à ses comédies, les deux films d'OSS 117 notamment, le cinéaste aurait évidemment pu exploiter son succès, choisir la facilité, et entreprendre un projet de même nature. Mais il en a décidé autrement. The Search (La quête en version française) ne pourrait être plus éloigné de ses films précédents.

«Je mesure bien la chance que j'ai eue, déclare le cinéaste. En temps normal, personne ne se risquerait à produire un drame de guerre sur la Tchétchénie avec des personnages qui parlent tous leur langue respective. On m'a accordé une grande liberté de mouvement à cet égard. Je crois aussi que la marge de manoeuvre dont je dispose provient du fait que The Artist était aussi un projet très inhabituel. Sur papier, personne n'aurait pu croire qu'un film tourné en noir et blanc, sans dialogues, puisse obtenir autant de succès.»

Un pays à feu et à sang

À ses yeux, The Search emprunte la forme d'un drame indépendant, doté d'un budget qu'on réserve généralement aux grandes productions. Le Berlin de l'après-guerre, dans lequel était campée l'intrigue du film de Fred Zinnemann, cède maintenant la place à la Tchétchénie de la toute fin du XXe siècle.

«J'ai aussi remplacé le personnage du soldat que jouait Montgomery Clift par une chargée de mission pour l'Union européenne», indique le cinéaste.

Le récit nous entraîne ainsi au coeur de l'horreur, alors que les troupes russes mettent les villages et les villes de la Tchétchénie à feu et à sang, militaires et civils entremêlés. Ayant été témoin de l'assassinat de ses parents, un petit villageois tchétchène (Abdul-Khalim Mamatsuiev), âgé de 9 ans, fuit tout seul, perdu au milieu d'un flot de réfugiés.

Apparemment muet, le garçon est d'abord emmené chez Helen (Annette Bening), une responsable de l'ONU, et rencontrera plus tard Carole, la chargée de mission qu'interprète Bérénice Bejo. Cette dernière tentera d'apprivoiser progressivement l'enfant et de tisser des liens avec lui.

Parallèlement au destin du petit Tchétchène, on raconte le parcours de Kolia (Maxim Emelianov), un soldat russe âgé de 20 ans, en décrivant la formation à la Full Metal Jacket qu'on lui inflige pour le déshumaniser et en faire une machine à tuer.

«Et encore, je suis allé en deçà de la réalité! précise Hazanavicius. La population russe sait très bien comment fonctionne son armée. Si j'avais décrit très fidèlement le processus, cela aurait été insoutenable à l'écran.»

Difficile, dans ces circonstances, de proposer une vision plus équilibrée des choses. Le cinéaste se doute bien que les autorités russes ne s'enticheront pas vraiment de son film.

«L'on se doit de respecter les gens dont on évoque l'histoire, dit-il. Nous avons aussi une responsabilité historique. Il n'y a pas un terroriste derrière chaque Tchétchène. Beaucoup de civils ont été tués dans ce conflit.»

Lourde responsabilité

Hazanavicius ne cache pas avoir trouvé cette responsabilité très lourde à porter.

«À vrai dire, cette responsabilité est terrible, souligne-t-il. Je viens d'un monde où, dans tous mes films, chacun est conscient d'assister à un spectacle. Par exemple, je n'ai jamais essayé de faire croire que The Artist était autre chose que du cinéma. Là, il fallait atteindre le réalisme dans la représentation de la souffrance, de la cruauté, de la violence. C'est très compliqué. Il faut trouver la bonne note.»

Un défi de nature différente attendait Bérénice Bejo. Son partenaire de jeu principal était en effet un enfant de 9 ans, un jeune Tchétchène qui parle - et comprend - une seule langue: la sienne.

«J'avoue avoir été un peu déboussolée pendant les premiers jours du tournage, fait-elle remarquer. Il m'a fallu un temps d'adaptation. J'ai pris ça comme un défi. Un enfant de cet âge, sans formation, ne peut qu'offrir sa nature. Parfois, il jouait le jeu. À d'autres moments, on pouvait clairement sentir qu'il n'avait pas envie d'être là. À 9 ans, c'est tout à fait normal.»

The Search a reçu l'an dernier un accueil plutôt tiède au Festival de Cannes où il était présenté en compétition officielle. Le cinéaste a retravaillé son film par la suite. Il est maintenant plus court de sept minutes.

«J'ai surtout fait disparaître une ligne narrative qui perturbait le récit, indique-t-il. Je ne m'en suis rendu compte qu'au moment de la projection officielle à Cannes! Le récit est aujourd'hui plus direct, plus sec. J'aime beaucoup mon film. J'en suis très fier!»