À titre de producteur, Bradley Cooper a toujours dit d'American Sniper qu'il s'agissait d'un western «à la Unforgiven». Que Clint Eastwood ait été enthousiaste à l'idée de réaliser ce film a dépassé ses rêves les plus fous.

«Clint Eastwood est l'un des plus grands cinéastes de notre époque!», déclarait d'entrée de jeu Bradley Cooper au cours d'une conférence de presse tenue à New York le mois dernier. «Et il a réalisé Unforgiven, à mon avis l'un des plus grands films du XXe siècle. Clint a une façon unique d'aborder les contradictions humaines dans son cinéma.»

L'acteur, qui a franchi la quarantaine lundi, ne pouvait rêver mieux que d'obtenir l'accord de son cinéaste favori pour la réalisation d'American Sniper, un film pour lequel il agit aussi à titre de producteur. Dans le plan prévu au départ, le nom de Clint Eastwood n'apparaissait pourtant nulle part. À vrai dire, toute la mise sur pied de cette production, qui ne cesse de fracasser des records de box-office depuis sa distribution «limitée» le jour de Noël, a été marquée par des événements inattendus.

Tiré du récit autobiographique de Chris Kyle, American Sniper évoque les conflits intérieurs ayant animé le tireur d'élite, reconnu pour avoir abattu à lui seul pas moins de 160 ennemis au cours de quelques missions en Irak. Aucun autre tireur ne présente un tel tableau de chasse dans l'armée américaine.

Bradley Cooper, dont la société de production a été lancée il y a quelques mois à peine, a d'abord acquis les droits d'adaptation d'un livre duquel Jason Hall, aussi connu en tant qu'acteur (Buffy the Vampire Slayer), a tiré un scénario. Steven Spielberg était alors intéressé au projet, mais sa vision dépassait largement le budget de

60 millions de dollars consenti par le studio Warner. Le réalisateur de Saving Private Ryan a alors préféré se retirer.

Comme un western

Il se trouve pourtant que Bradley Cooper, depuis le début, décrivait à qui voulait l'entendre ce projet comme un «western à la Unforgiven». Aussi les bonzes du studio se sont-ils décidés à joindre Clint Eastwood. Qui, au moment où la proposition est tombée, était justement en train de lire le bouquin de Chris Kyle. Reconnu pour son approche plus sobre, plus intimiste sur le plan de la mise en scène, le vétéran a tenu à ce que son film soit le plus dépouillé possible, histoire de faire plutôt écho au monde intérieur d'un homme forcément traumatisé. Le jour même où Jason Hall s'apprêtait à présenter son scénario à Bradley Cooper, un événement tragique est survenu. Il y a maintenant deux ans, le tireur d'élite est disparu dans des circonstances pour le moins troublantes.

De son côté, l'acteur s'est plongé à corps perdu dans le rôle, dès que Clint Eastwood a donné son accord. Entraînement intensif, musculation (il a pris une vingtaine de kilos), apprentissage du tir.

«Je me préoccupais bien davantage de l'esprit du personnage, fait-il pourtant remarquer. Pour être crédible à l'écran, il fallait toutefois que mon aspect physique ressemble à celui de Chris. Il m'a fallu trois mois avant de trouver les armes avec lesquelles j'étais le plus à mon aise. Clint fait par ailleurs confiance à ses acteurs. Il ne supervise pas leur préparation du tout. C'est à nous d'y voir. Il ne nous fait pas répéter non plus au moment du tournage. Il est super cool, super relax. Et si la première prise est bonne, on la garde!»

En plus de dévorer tous les documents visuels auxquels il pouvait avoir accès, Bradley Cooper a aussi beaucoup discuté avec la femme de Chris Kyle (jouée dans le film par Sienna Miller). Cette dernière tenait à ce que l'histoire de son mari soit racontée, même si la douleur du drame dont il fut victime était encore très vive.

Au-delà des statistiques

Comme tous les films ayant pour thème la guerre en Irak, American Sniper suscite aussi sa part de controverse. Certains pourront voir dans l'histoire de Chris Kyle une glorification du savoir-faire guerrier américain; d'autres y percevront au contraire un message profondément antimilitariste. Aux yeux de l'acteur, American Sniper n'a pratiquement rien à voir avec le conflit irakien.

«Le récit ne nous apprend strictement rien sur cette guerre-là, précise Bradley Cooper. Il s'agit plutôt d'une étude psychologique à propos d'un soldat dont l'expertise est à la fois un atout et un fardeau. Ultimement, c'est lui qui doit prendre la décision d'appuyer sur la gâchette quand il estime que les actions de ceux qui se retrouvent dans son viseur pourraient menacer plusieurs vies humaines. Tous les tireurs d'élite vivent ce déchirement. Ils doivent penser en terme de vies sauvées plutôt que de vies enlevées. Cela n'est jamais facile. Et ça n'a rien à voir non plus avec l'endroit où le conflit se déroule.»

Dans ces circonstances, la question de la légitimité d'une mission ne se pose pas. Par définition, les militaires sont appelés à suivre les ordres. Les retours de Chris Kyle dans son Texas natal étaient d'ailleurs particulièrement difficiles, n'ayant plus en tête que la seule idée de retourner en Irak afin d'aller compléter sa mission.

«Tout ce que je sais, c'est que j'ai besoin de comprendre, indique Bradley Cooper. À partir du moment où j'essaie de comprendre, j'ai moins tendance à juger et à coller des étiquettes aux gens.»

Sa performance ne lui a valu que des éloges jusqu'à maintenant. Tant du côté des critiques américains que des pairs. On évoque d'ailleurs, peut-être, une troisième nomination aux Oscars. Pour l'heure, Bradley Cooper est aussi salué par la critique théâtrale grâce à sa composition dans la pièce The Elephant Man. Jusqu'au 22 février, il se glisse dans le corps déformé de John Merrick sur la scène du Booth Theater à Broadway.

American Sniper (Tueur d'élite américain en version française) prend l'affiche le 16 janvier.

Les frais de voyage ont été payés par Warner Bros.

Une image de tête brûlée...

On dit souvent que, pour vraiment connaître quelqu'un, il faut s'adresser plutôt à la personne qui partage sa vie. C'est ce qu'a fait le scénariste Jason Hall, de même que, plus tard, Bradley Cooper. Taya Kyle, personnifiée à l'écran par Sienna Miller, était la femme de ce tireur d'élite reconnu pour avoir abattu au moins 160 ennemis en Irak, un record. Aujourd'hui veuve, Mme Kyle entend bien, grâce à ce film et à une fondation qu'elle a mise sur pied pour venir en aide aux vétérans, honorer la mémoire de son mari.

«Je souhaite surtout combattre les stéréotypes, a-t-elle expliqué à son tour lors d'une conférence de presse avec l'équipe d'American Sniper. Je sais que, dans l'esprit de bien des gens, les tireurs d'élite sont des têtes brûlées qui se réjouissent à l'idée d'aller faire la guerre. C'est faux. Je connaissais bien mon mari. Il n'avait rien d'un tueur. Les militaires sont entraînés pour neutraliser des soldats ennemis, pas des civils. Ils ne choisissent pas où ils vont. Ils ne font pas de politique non plus.»

Pendant toute la préparation du film, Taya Kyle a donné plein accès aux archives de son mari, à ses documents visuels, à son cadre de vie. Elle a aussi beaucoup discuté des difficultés qu'avait Chris à réintégrer la vie civile et familiale - le couple a deux enfants - entre ses missions en Irak.

«J'avais vraiment l'impression que l'histoire de Chris ne pouvait être entre de meilleures mains, ajoute-t-elle. Je savais que ces gens de talent la traduiraient à l'écran de façon honnête. J'ai vraiment beaucoup de reconnaissance pour eux.»