Depuis plus de 35 ans, les frères Dardenne creusent toujours le même sillon: celui d'une meilleure compréhension de la société. Dans Deux jours, une nuit, ils explorent les conséquences de la crise économique dans le monde du travail.

Six ans après un krach financier dont les conséquences semblent sans fin, Deux jours, une nuit évoque les nouvelles difficultés qui se posent dans différents milieux de travail. Mais le nouveau film de Luc et Jean-Pierre Dardenne laisse aussi la part belle à des valeurs humaines qui traverseront les époques. Parce que nécessaires à la survie. En ces temps sombres, où la crise économique laisse encore des traces chez de trop nombreux individus, les frangins belges offrent, fidèles à leur démarche, un film de nature très réaliste.

Pour les réalisateurs de Rosetta et de L'enfant, deux films lauréats de la Palme d'or du Festival de Cannes, il était toutefois important de faire écho à l'importance de la solidarité humaine. Sans jamais tomber dans les bons sentiments, leur film, disent-ils, est quand même porteur «d'espoir et de lumière».

«Quand on commence l'écriture d'un scénario, on pense d'abord à un personnage et à une situation, expliquait Jean-Pierre au cours d'une rencontre de presse tenue à Paris. Il ne nous vient pas à l'esprit de faire une critique de la société. On a simplement pensé à cette femme, Sandra, qui a non seulement peur de perdre son emploi, mais qui se demande aussi comment diable elle va faire pour aller demander à ses collègues d'être solidaires d'elle en abandonnant une prime de 1000 euros. C'est très concret comme situation.»

«Le monde du travail a beaucoup changé, ajoute Luc. Nous vivons dans un monde où nous sommes en concurrence les uns avec les autres de façon permanente. Aujourd'hui, tout le monde est mis en opposition: les hommes et les femmes; les vieux et les jeunes; les citoyens «de souche» et les étrangers. La syndicalisation est aussi plus rare. On se croirait parfois revenus au tout début de l'ère industrielle. Dans ces conditions, le fait d'être solidaire devient une question morale, même plus sociale. Cela dit, nous n'avons pas voulu faire de Sandra un bouc émissaire de méchants individus non plus. Tout le monde est dans le même bateau. »

Un même film, à deux

Depuis leurs débuts dans le cinéma documentaire, il y a maintenant plus de 35 ans, les frères Dardenne ont toujours travaillé en étroite collaboration.

«Il n'y a jamais eu de mésentente, indique Luc. On fait toujours le même film. Mais à deux. Il faut dire que nous travaillons beaucoup en amont. Une fois rendu à l'étape du tournage, tout est déjà déterminé de façon très précise. Nous avons en outre déjà répété avec les acteurs pendant un mois.»

Ayant une réputation d'exigence hors du commun, les Dardenne n'hésitent pas à reprendre une même scène des dizaines de fois.

«Comme nous tournons en plans-séquences, il nous faut redoubler d'efforts pour que la scène soit satisfaisante à nos yeux. Sur 80 prises, il y en a peut-être 25 que nous avons dû interrompre avant la fin à cause d'un pépin technique ou d'un problème d'une autre nature. Et s'il y en a 50 qu'on refait uniquement pour les acteurs, eh ben c'est parce qu'on n'est pas contents de la prise. C'est aussi simple que ça! Il y a des scènes qu'on refait simplement pour avoir le meilleur choix possible au montage aussi.»

Un mauvais moment à passer

Quant à la montée de la droite en Europe, appuyée souvent par des gens qui, ironiquement, sont les premières victimes de la crise économique, les frangins souhaitent qu'il s'agisse d'un «mauvais moment à passer».

«Je crois que nous restons majoritairement des gens qui refusons les inégalités sociales et économiques dans lesquelles nous sommes plongés, estime Jean-Pierre Dardenne. Cela dit, il faut que la gauche soit à la hauteur aussi. Visiblement, il y a des gens qui pensent qu'elle ne l'est pas.»

Depuis quelques films, les Dardenne se font pourtant un peu plus solaires. Plutôt que de les camper dans les grisailles automnales et hivernales, leurs histoires se déroulent maintenant au beau milieu de la belle saison.

«De camper le récit de Deux jours, une nuit en été est une manière de ne pas se laisser aller à la dépression, indique Luc. Ça donne aussi un aspect plus chaleureux à la trajectoire de Sandra.»