Après un hommage à son père (Barbiers, une histoire d'hommes) et un autre à sa mère (Les dames en bleu), Claude Demers a voulu revisiter son enfance. Pour ce faire, rien de tel qu'un retour dans le quartier où il a grandi, Verdun. Le documentaire D'où je viens était né.

Claude Demers est sans doute un homme fort. Et un être fragile.

Parce que cet homme n'a pas eu la chance d'avoir été souhaité. Lorsque sa mère était enceinte de lui, son père voulait qu'elle avorte. Plus tard, il a été adopté. Il a grandi dans un quartier, Verdun, qu'il a fui (ce sont ses mots) dès qu'il a eu 18 ans.

Chez d'autres, beaucoup d'autres, pareils stigmates auraient pu forger une vie de misère, d'écorchures. Claude Demers, lui, en a fait un terreau créatif.

De là, l'homme fort...

Exercice difficile, Demers en convient, que ce film autobiographique. À son visionnement, on a justement le sentiment qu'il est teinté d'une certaine peur.

«Je dirais plutôt de l'angoisse, corrige cet homme doux en entrevue. Normalement, cette angoisse n'est pas apparente. Je suis quand même un gars avec une joie de vivre. Mais là, j'ouvre mes tripes, je me mets à nu, j'expose des blessures, je me replonge dans des moments plus difficiles. Tout ça n'a pas été facile.»

De là, l'être fragile...

Pour aller au bout de sa démarche, Demers a laissé resurgir toutes ces vieilles émotions reliées à son enfance, allant jusqu'à louer un appartement dans le quartier. «Je voulais replonger dans ces états d'enfance, sans que ce soit naïf», dit-il.

Cette ligne de conduite donne un film fort cohérent et, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, loin d'être triste et noir. Au contraire, il émerge du film une espèce de poésie, de lyrisme. L'oeuvre, en dépit d'une certaine dureté, est enveloppée d'une aura apaisante.

Un quartier vu autrement

D'où je viens nous fait aussi découvrir sous un angle singulier un quartier de Montréal qui, tout en se transformant, conserve une certaine élévation d'âme. «C'est sûr qu'il y a eu de la gentrification, mais les gens n'ont pas changé tant que ça, dit Demers. C'est ce qui est merveilleux! Les gens sont restés authentiques. Avec eux, nous avons eu une grande facilité de tournage.»

Facilité qui se traduit par des rencontres étonnantes que le commun des mortels, qui n'aime pas beaucoup être sorti de sa zone de confort, ne ferait pas nécessairement. Nous y croisons, par exemple, ce coloré citoyen du quartier qui passe beaucoup de temps dans un Dunkin Donuts à tenir une conversation proche du soliloque. Ou encore ces amateurs de grand air qui trouvent refuge dans une île inhabitée face à l'hôpital Douglas pour... chasser le canard.

Parallèlement à son côté plus éthéré, D'où je viens nourrit l'histoire de Montréal. D'ailleurs, lorsque Claude Demers s'est mis à décrire le quartier de son enfance à sa productrice à l'ONF, l'idée du film s'est imposée d'elle-même.

«Verdun est une île dans une île», dit-il.

Une île? Ce commentaire nous renvoie à l'aspect le plus étonnant du film: la nature. Elle est omniprésente dans ce quartier populaire et le spectateur la découvrira sur les pas de garçons et filles qui, encore dans l'enfance, passent de longues journées, insouciants, au bord de l'eau. Comme Claude Demers l'a fait à une autre époque.

«Chaque fois que j'allais à Verdun pour mes recherches, je me demandais sous quel angle aborder mon histoire. Je savais que je ne ferais pas un film sociopolitique. Je savais qu'il aurait un angle différent. Et j'ai senti cet appel du fleuve, constant. C'est très porteur sur le plan visuel et poétique.»