Dans la peau du mathématicien Alan Turing, Benedict Cumberbatch offre une composition saisissante. Depuis le lancement de The Imitation Game aux festivals de Telluride et Toronto, l'acteur anglais est favori pour la prochaine course aux Oscars.

Depuis quelques années, le cinéma et la télévision n'en ont que pour lui. Le célèbre interprète de Sherlock Holmes au petit écran est aussi très accaparé par le grand.

L'an dernier, le nom de Benedict Cumberbatch a figuré au générique d'au moins quatre longs métrages. Et pas des moindres: The Fifth Estate, Star Trek: Into Darkness, 12 Years a Slave, August: Osage County.

En 2014, l'acteur anglais a prêté de nouveau sa voix au dragon Smaug dans The Hobbit: The Battle of the Five Armies (à l'affiche le 17 décembre), ainsi qu'à l'un des personnages de Penguins of Madagascar (présentement à l'affiche).

L'histoire retiendra toutefois sa performance éblouissante dans The Imitation Game. Grâce à sa composition, l'acteur est en effet en train de récolter de multiples lauriers. Il pourrait bien monter les marches menant à la scène du Dolby Theatre au mois de mars afin d'aller cueillir une statuette dorée.

«Oh! Beaucoup d'eau aura coulé sous les ponts d'ici là! s'exclame-t-il lors d'une interview accordée à La Presse au Festival de Toronto. Tant mieux si cela survient, mais cela n'est pas essentiel à mes yeux. Ce qui m'importe, surtout, c'est que les gens aient envie de voir le film. Pour que l'histoire d'Alan Turing soit mieux connue. À mon avis, cet homme occupe une place cruciale dans l'histoire de la Grande-Bretagne et du monde entier. On devrait lui ériger une statue tout juste à côté de celle de Winston Churchill!»

Un héros méconnu

Réalisé par le cinéaste d'origine norvégienne Morten Tyldum (Headhunters), The Imitation Game relate l'histoire de celui à qui l'on prête la paternité de l'informatique moderne.

En 1940, le mathématicien, spécialiste en cryptologie, est chargé par le gouvernement britannique de percer le secret de la célèbre machine de cryptage allemande Enigma, réputée inviolable. Les recherches et les découvertes de ce héros de la Seconde Guerre mondiale ont pu sauver des millions de vies humaines.

Selon plusieurs historiens, son génie a permis de diminuer et de raccourcir la capacité de résistance du régime nazi d'au moins deux ans.

En 1952, à la faveur d'un cambriolage dont il est victime, Alan Turing fait pourtant l'objet de poursuites judiciaires en raison de son homosexualité. Pour éviter l'incarcération, il consent même à une castration chimique et prend de l'oestrogène pour réduire sa libido à néant. Deux ans plus tard, l'éminent mathématicien est retrouvé mort.

Pratiquement restée secrète jusqu'à la fin des années 2000, son histoire fut enfin évoquée quand, en 2009, le premier ministre Gordon Brown a exprimé ses «regrets» au nom du gouvernement britannique. Alan Turing fut enfin gracié à titre posthume par la reine Élisabeth II le 24 décembre 2013.

«Je connaissais très peu son histoire, confie Benedict Cumberbatch. À l'école, nous n'avons pratiquement jamais entendu son nom. Cette histoire de pardon a eu le mérite de le remettre dans l'actualité, mais il est franchement ridicule qu'on ait mis autant de temps à le lui accorder! J'espère seulement que ce film puisse évoquer l'importance énorme qu'a eue cet homme.»

Pression et répression

En guise de préparation, l'acteur a bien entendu lu des biographies, notamment celle écrite par Andrew Hodges, laquelle a servi de base au scénario de Graham Moore. Benedict Cumberbatch a aussi eu l'occasion de s'entretenir avec des gens qui ont côtoyé le héros.

«Alan a vécu à une époque où il a dû subir beaucoup de pression de la part des autorités afin de faire avancer les choses, mais aussi beaucoup de répression par rapport à sa nature», fait remarquer son interprète.

«À ce qu'on dit, cet homme avait de la grâce. En toutes occasions. Dans le film, Alan craque une seule fois. J'étais plus ou moins d'accord avec ce choix. Je comprends parfaitement bien la cohérence sur le plan dramatique, mais dans les faits, cet homme était tellement réprimé que je doute qu'il ait jamais pu vraiment exprimer sa colère.

«Même dans sa période de castration chimique, il préférait prendre le tout avec philosophie et regarder cela à travers une lorgnette scientifique. Il analysait. Son esprit dépassait toujours sa réalité physique.»

Des accents d'authenticité

The Imitation Game, qui a obtenu le très convoité Prix du public au Festival de Toronto, est un film de fiction basé sur des faits réels. Benedict Cumberbatch avait bien entendu le souci de donner quand même au personnage des accents d'authenticité.

«Se glisser dans la peau d'une figure historique comporte une bonne part de responsabilité, confie-t-il. Dans ce cas-ci, aussi incroyable que cela puisse paraître, Alan Turing reste encore aujourd'hui un personnage relativement peu connu. Il ne fait pas encore vraiment partie de notre culture populaire. Même si on propose une version des événements qui se sont déroulés à l'époque, on a quand même voulu rester le plus fidèle possible à l'esprit de cet homme.»

L'acteur a pu se sentir d'autant plus en confiance qu'il pouvait compter sur les présences de Keira Knightley et Matthew Goode. La première prête ses traits à Joan Clarke, une redoutable mathématicienne qui devra faire sa place dans un monde d'hommes; le second interprète Hugh Alexander, un champion d'échecs qui, à l'opposé de Turing, était très habile socialement.

«Je trouvais intéressant de traduire à l'écran le sentiment amoureux que partagent Alan et Joan sans qu'il y ait une attirance sexuelle, explique Benedict Cumberbatch. J'étais ravi quand j'ai su que Keira était intéressée par le projet, car c'est une amie. Matthew, c'est pareil. Nous sommes amis depuis nos années d'études!»

_________________________

The Imitation Game (Le jeu de l'imitation) prend l'affiche le 19 décembre à Montréal; le 16 janvier 2015 ailleurs au Québec.

Morten Tyldum: regard extérieur

Son nom ne nous est peut-être pas encore familier, mais il est certain qu'il sera souvent entendu au cours de la prochaine saison des récompenses. 

D'origine norvégienne, Morten Tyldum signe son premier film «international» avec The Imitation Game. Remarqué grâce à Headhunters, un film qui a obtenu un grand succès dans son pays natal, le cinéaste sait qu'une nouvelle étape vient d'être franchie.

«Après Headhunters, un film d'action qui a obtenu une nomination aux BAFTA Awards, j'ai reçu plein de scénarios du même genre», raconte Morten Tyldum en entrevue à La Presse. Mon agent m'a pourtant parlé d'un script remarquable qu'il avait lu, très différent. Je suis tombé complètement amoureux de l'histoire que raconte The Imitation Game. Au point où j'étais même en colère contre moi-même. Comment se fait-il que je ne connaisse rien de cet homme? Le visage d'Alan Turing devrait honorer les pages couvertures de tous les livres d'histoire!

«Comme je suis étranger tant à Hollywood qu'en Grande-Bretagne, je crois que j'ai facilement pu m'identifier à cet outsider absolu. J'aime les gens différents qui pensent différemment. Et j'ai été ravi quand j'ai su que Benedict acceptait notre proposition. Très peu d'acteurs peuvent interpréter des génies. Dès que nous nous sommes rencontrés, ça a cliqué. Comme nous sommes deux perfectionnistes, chaque détail a suscité d'infinies discussions. J'adore les acteurs qui posent des questions et qui te mettent au défi!»

PHOTO FOURNIE PAR THE WEINSTEIN COMPANY

Alan Turing (Benedict Cumberbatch) est considéré comme le père de l'informatique moderne.