Le cinéaste gitan, prince des exilés et des laissés pour compte, filme cette fois l'histoire de jeunes amoureux issus de l'immigration, que des traditions ancestrales viennent rattraper.

Plus que jamais, Tony Gatlif ne filme pas pour rien. Alors que l'Europe vit sous tension, avec des excès d'intolérance qui surgissent inopinément un peu partout, le réalisateur de Liberté ne pouvait faire autrement que d'utiliser sa caméra.

Sorte de West Side Story des temps modernes, Geronimo fait écho à la plus belle richesse sur laquelle une société peut s'appuyer: sa jeunesse. Aussi a-t-il voulu en filmer la beauté, la vitalité, tout autant qu'évoquer l'impasse dans laquelle elle se retrouve trop souvent, surtout en ces temps pour le moins troublés.

«J'estime qu'il y a urgence, indique le cinéaste au bout du fil. Quand j'ai réalisé Liberté il y a cinq ou six ans, qui racontait l'histoire des Tziganes en France pendant la guerre, je savais qu'il fallait le faire à ce moment-là. Mais ça n'a pas empêché Nicolas Sarkozy de livrer un discours ignoble sur les Roms un an plus tard. J'ai l'impression que tout se dégrade de plus en plus. J'ai beaucoup voyagé avec le diplomate Stéphane Hessel peu avant qu'il meure. Nous avons suivi ensemble le mouvement des jeunes indignés un peu partout en Europe. J'estime qu'il faut agir vite. Je sais bien qu'un film ne changera pas le monde, mais il était important pour moi de le faire.»

Une guerre de clans

Geronimo est le nom d'une jeune éducatrice (Céline Sallette) qui oeuvre dans un quartier chaud d'une ville du sud de la France. Elle comprend le langage des jeunes laissés pour compte, leur révolte, leur sentiment d'exclusion. Et tente tant bien que mal de faire valoir leurs talents créatifs. Tout bascule pourtant le jour où une adolescente d'origine turque s'enfuit de sa famille pour éviter un mariage forcé et pour retrouver son amoureux, un jeune gitan. L'événement met le feu aux poudres et déclenche une guerre de clans.

«Le monde est devenu dangereux, fait remarquer Tony Gatlif. Il y a quelque chose qui plane au-dessus de nos têtes, qu'on ne nomme jamais directement parce que ça évoque trop de démons. Mais qu'est-ce que cette montée fasciste en Europe? Comment se fait-il que ceux qui nous dirigent n'aient rien vu venir? Le chômage et les graves problèmes économiques font en sorte que les jeunes n'ont plus de repères. Certains d'entre eux s'accrochent à ce que le passé a de plus laid, un passé dangereux et violent. Et ce sont les jeunes femmes qui, en général, en font les frais. J'ai construit mon scénario à partir de cette réflexion.»

Fidèle à son habitude, le réalisateur de Latcho Drom n'a pas évoqué ces drames sociaux pour en faire un film sombre et déprimant. Dans Geronimo, il filme magnifiquement la beauté, l'amour. Les conflits sont aussi transcendés par la musique.

«La mise en scène est très musicale, fait remarquer le cinéaste. Le sujet est dur mais je me refusais à filmer la violence. Parce que la caméra la rend photogénique, peu importe comment on la traite. Et ça, je ne veux pas. Je préfère que tout passe par la musique. À mon sens, elle est encore plus forte que la violence parce qu'elle s'adresse directement au corps et à l'âme. Comme une bouée de secours.»

De beaux et talentueux non-professionnels

À part Céline Sallette (De rouille et d'os, L'Apollonide), tous les acteurs sont des non professionnels qui en sont à leurs premières armes à l'écran. Ils ont entre 16 et 20 ans. Gatlif les a repérés le soir dans les banlieues, là où ils s'entraînent: dans les stationnements des magasins à grande surface. C'est aussi l'endroit où ils s'expriment grâce à diverses formes d'art urbain.

«Ce sont des gamins que j'ai trouvés un peu partout, dit-il. Ils sont démunis mais ils apprennent seuls à faire plein de choses. Ils font de la peinture, des tags, de la musique, de la danse. Leur capacité de création est incroyable mais on ne la connaît pas. Ils sont tellement beaux. Le film leur colle à la peau même si, parfois, j'étais fatigué de les suivre! Leur vitalité est incroyable, et d'une nature très différente de la mienne quand j'avais leur âge. Comme si leur énergie comblait un manque. C'est sublime. Je voulais raconter cette histoire avec la même vitalité. Pas question de plans lents et contemplatifs.»

Selon le cinéaste, cette vitalité constitue ainsi un rempart contre la morosité ambiante. S'il se dit inquiet à propos des intolérances irrationnelles découlant d'un contexte économique difficile, Tony Gatlif refuse de baisser les bras.

«On ne sait pas où est le peuple, dit-il. Il s'est comme désagrégé en petits groupes. Les politiciens parlent en son nom, mais à qui s'adressent-ils au juste? Je suis inquiet, oui, mais je ne peux pas me permettre d'être pessimiste. Sinon, j'arrête de lutter. Et je ne peux pas faire ça. Ce serait comme nourrir la déprime de mes contemporains. Je ne suis pas là pour ça.»

Geronimo prend l'affiche le 31 octobre