Même s'il roule sa bosse depuis maintenant une vingtaine d'années, Jeremy Renner fut véritablement révélé au monde grâce à The Hurt Locker. En 2010, ce film «cendrillon» a valu à Kathryn Bigelow l'Oscar de la meilleure réalisation. Renner a de son côté obtenu sa première nomination dans la catégorie du meilleur acteur. Depuis, le comédien s'est principalement distingué dans des films d'action. De Mission: Impossible à The Avengers, en passant par les nouvelles aventures de Jason Bourne, Renner fait valoir son intensité en imposant un style différent, moins typé. Il est par ailleurs aussi sollicité par les auteurs. L'an dernier, l'acteur était de la distribution d'American Hustle (David O. Russell) et de The Immigrant (James Gray).

Le rôle de Kill the Messenger lui fut offert pendant qu'il était en train de tourner The Avengers.

«La lecture du scénario m'a complètement captivé, a-t-il raconté récemment au cours d'une rencontre de presse tenue à Los Angeles. J'adorais d'une part le fait que cette histoire soit vraie, et qu'elle ait pour cadre le monde du journalisme. Je ne connaissais pas l'existence de cette histoire ni celle de Gary Webb, et pourtant, tout cela s'est passé non loin de l'endroit où j'ai grandi!»

En 1996, Gary Webb, journaliste lauréat d'un prix Pulitzer, a publié dans le San Jose Mercury News une série d'articles dans lesquels il révélait, après une vaste enquête, les liens étroits existant entre la CIA et des rebelles nicaraguayens (les Contras), eux-mêmes directement financés par des trafiquants de drogue du quartier South Central à Los Angeles.

Défié par les autorités, mais aussi par des journaux de Los Angeles, frustrés de s'être fait «scooper» par un journal «de province» à propos d'une histoire qui se passait dans leur cour, le journaliste a fini par craquer. Sa fin, tragique, fait encore aujourd'hui l'objet de certaines suppositions, bien que la thèse du suicide ait été officiellement retenue.

Un beau rôle

Tiré de deux ouvrages (Kill the Messenger de Nick Schou et Dark Alliance de Gary Webb), le scénario du film a été écrit par Peter Landesman. Ce dernier, lui-même journaliste, a en outre écrit (et réalisé) Parkland l'an dernier. La réalisation de Kill the Messenger a toutefois été confiée à Michael Cuesta, surtout connu jusqu'à maintenant pour avoir signé plusieurs épisodes de la série Homeland. En sa qualité de producteur, rôle qu'il assume pour une toute première fois, Jeremy Renner a pu choisir lui-même les artisans du film.

«Une fois les gens choisis, je me suis quand même surtout concentré sur mon travail d'acteur, précise-t-il. Sur ce plan, j'ai eu droit à un beau rôle. Vraiment. Évidemment, quand on doit se glisser dans la peau d'une personne qui a réellement existé, et dont l'histoire est récente, ça peut devenir plus délicat.»

Renner a ainsi pu parler à des gens directement impliqués dans l'histoire, parmi lesquels des intimes de Gary Webb.

«J'ai notamment parlé à son ancienne femme, explique l'acteur. La famille était d'ailleurs très disponible. Elle était prête à nous donner accès à beaucoup de matériel. J'ai quand même préféré ne pas entrer trop dans la sphère intime ni utiliser des objets qui lui auraient appartenu. Je ne me serais pas senti à mon aise.»

Des zones sombres

Au-delà de l'enquête journalistique, Kill the Messenger explore aussi la psyché d'un homme prêt à tout pour faire éclater la vérité au grand jour. Peter Landesman estime d'ailleurs qu'il faut être plutôt «électron libre» pour exercer le métier de journaliste spécialisé dans les enquêtes. De surcroît, Webb possédait un côté plus sombre dans lequel l'acteur n'a eu d'autre choix que de s'engouffrer.

«Il m'est plutôt difficile d'en parler, car j'ai moi-même été aux prises avec des épisodes dépressifs à une certaine époque, confie l'acteur. Des idées très noires m'ont déjà traversé l'esprit. Je sais ce qu'est ce sentiment et ce qu'on ressent à l'intérieur. Si j'avais moi-même été coincé de la même manière que Gary, qui sait ce que j'aurais fait?»

Jeremy Renner voit toutefois une différence énorme entre l'époque - pas si lointaine - dans laquelle cette histoire s'est déroulée et la nôtre.

«Aujourd'hui, tout se sait très vite, fait-il remarquer. Les Julian Assange et Edward Snowden de ce monde peuvent utiliser les réseaux sociaux pour révéler instantanément au monde entier le fruit de leurs découvertes. Au milieu des années 90, l'internet existait bien sûr, mais il n'avait pas la même puissance. À mes yeux, ce film constitue un hommage au bon journalisme d'enquête. Je suis d'ailleurs convaincu qu'il existe encore de grands journalistes dans ce domaine, mais ils ont de moins en moins l'occasion de se faire valoir dans les médias, on dirait. Or, nous n'en avons jamais eu autant besoin!»

_________________________

Kill the Messenger prend l'affiche le 10 octobre.

Les frais de voyage ont été payés par eOne/Films Séville.


Cinq grands films sur le journalisme

All the President's Men (1976)

Alan J. Pakula

À peine quatre ans après le scandale du Watergate, qui a entraîné la démission du président Nixon, Alan J. Pakula porte brillamment à l'écran le livre des journalistes Carl Bernstein et Bob Woodward. Dustin Hoffman et Robert Redford prêtent leurs traits aux deux célèbres reporters du Washington Post.

Network (1976)

Sidney Lumet

Network sort la même année qu'All the President's Men. Il s'agit cette fois d'une satire féroce - et prémonitoire - sur les périls de l'infospectacle. Réalisé par le grand Sidney Lumet, ce film relate l'histoire d'un chef d'antenne au bout du rouleau (Peter Finch - Oscar du meilleur acteur), qui annonce à ses téléspectateurs son suicide en direct.

Broadcast News (1987)

James L. Brooks

Sans être aussi féroce que Network, Broadcast News dénonce aussi, sous couvert de comédie, les travers dans lesquels s'engagent les journaux télévisés. William Hurt est formidable dans le rôle d'un chef d'antenne embauché uniquement pour son apparence, et Holly Hunter l'est tout autant dans le rôle de sa productrice.

Good Night and Good Luck (2005)

George Clooney

À l'occasion d'un hommage qu'on lui rend en 1958 au cours d'un dîner offert par une organisation professionnelle, le présentateur Edward R. Murrow (excellent David Strathairn) se lance dans un long plaidoyer sur l'intégrité journalistique. À partir de cet exposé, dans lequel le journaliste dit s'inquiéter du virage commercial que semble vouloir emprunter le monde de l'information, Clooney construit un récit captivant.

Frost/Nixon (2008)

Ron Howard

Excellente adaptation de la pièce à succès de Peter Morgan (The Queen). Frank Langella et Michael Sheen reprennent ainsi les rôles qu'ils ont déjà créés à la scène. Comme son titre l'indique, Frost/Nixon est inspiré d'une interview surprenante qu'avait accordée l'ancien président des États-Unis Richard Nixon à David Frost après des années de silence.