Il y a ces êtres malfaisants qui attirent l'attention, desquels on se tient loin parce qu'ils ont l'air vraiment méchant. Il y a ces autres, plus insidieux, qui affichent la force tranquille... disons, du volcan endormi. Celui qui, lorsqu'il se réveille, détruit tout sur son passage. Celui que, quand il explose, plus rien n'arrête.

L'ennemi qu'incarne Marton Csokas face à Denzel Washington dans The Equalizer d'Antoine Fuqua est de cette (très inquiétante) eau-là. Il s'appelle Teddy, prénom anonyme, presque dérisoire. Boris ou Igor aurait été plus révélateur. Mais Teddy cherche l'ombre. Jusqu'à ce qu'il en sorte.

«Une phrase du scénario a été déterminante dans ma construction du personnage: «C'est un psychopathe avec une carte d'affaires»«, racontait, dans l'entrevue qu'il a accordée à La Presse pendant le Festival du film de Toronto, l'acteur que l'on a vu dans les deux derniers volets de The Lord of the Rings, dans The Bourne Supremacy ou encore dans L'âge de raison de Yann Samuell, aux côtés de Sophie Marceau. Une occasion pour lui, ce film-là, de se remettre au français, lui qui le parle fort bien - «Je l'ai étudié à l'école et j'ai eu une femme française dans ma vie», rappelle-t-il, faisant référence à Eva Green -, mais trop rarement.

Cette fois, dans The Equalizer, c'est le russe qu'il pratique. Puisque Teddy est Russe. Un truand au service d'une organisation mafieuse exploitant de toutes jeunes filles clandestinement «importées» à Boston à des fins de prostitution. L'une d'entre elles, Teri (Chloë Grace Moretz), est massacrée par un client. Et c'est cela qui fait sortir Robert McCall (Denzel Washington qui retrouve ici le réalisateur de Training Day) de ses gonds.

Le «equalizer» du titre, c'est lui: quand la balance penche injustement d'un côté, il veille à rétablir l'équilibre. C'était le principe de la série télévisée diffusée de 1985 à 1989 dont le scénario de Richard Wenk est vaguement inspiré. Un homme «ordinaire» que l'on découvrira de la race des «non armés, mais dangereux», a fait table rase de son passé, mais reprend informellement du service pour réparer une iniquité.

Ainsi McCall fera face à Teddy. Et Denzel Washington, à Marton Csokas. Qui a auditionné pour ce truand parce qu'il voyait là la possibilité de décliner autrement le cliché, en compagnie de Fuqua et Washington: «Nous étions sur la même longueur d'onde. J'ai fait des recherches sur les sociopathes, lu plusieurs bouquins, je suis arrivé avec des propositions, nous avons discuté et sommes arrivés, de concert, à cette version d'un personnage qui pouvait être interprété de plusieurs manières», explique Marton Csokas.

Tuer est jouer

Un personnage d'apparence calme. Mais qui, une fois «amorcé», est imprévisible et impossible à arrêter. L'eau qui dort, celle dont il faut se méfier, c'est lui. Il conjugue à l'inverse le proverbial «Tuer n'est pas jouer»: «En effet, il y a ici des façons très inventives de tuer des gens avec des objets inanimés fabriqués à des fins banales.»

Disons simplement que pendant un temps, après avoir vu The Equalizer, il est difficile de ne pas avoir un mouvement de recul en voyant un tire-bouchon. Ou d'arpenter avec insouciance les allées des grandes surfaces destinées à la rénovation. C'est là que McCall nouvelle version travaille. C'est là que son naturel et Teddy reviennent au galop.

Teddy dont les costumes bien coupés dissimulent un prédateur qui porte son histoire à même sa peau. «Les tatouages sont aussi une métaphore de la noirceur qui veille en lui. Psychologiquement, c'était extrêmement intéressant pour moi de le savoir ainsi marqué», note l'acteur qui, en fait, ne l'a été que le temps d'une scène spectaculaire où la caméra d'Antoine Fuqua le révèle, seul, torse nu. Sauvage.

«L'application a duré deux jours. Dès que j'étais en pause, j'allais au maquillage et on en ajoutait. Tout ça pour une seule scène que, finalement, on a tournée très rapidement, en pleine nuit. Elle est courte, mais puissante et elle signifie énormément», estime Marton Csokas.

On ne le contredira pas. Parce qu'il a entièrement raison et non par crainte. Car, bien que rompu aux rôles de méchants, l'acteur, en personne, dégage sérénité, sérieux et gentillesse. En fait, il a un principe, même en tournage: laisser les personnages sur le plateau. «Si je n'y arrive pas, c'est que j'en fais trop et ce n'est bon ni pour le travail ni pour moi. Un personnage qui est tout le temps dans votre tête, entre vos mains, empêche le subconscient de se mettre à l'oeuvre. Et dans ce métier, il faut que l'imagination vole, elle aussi.»

Là encore, on ne le contredira pas. Parce qu'il sait de quoi il parle. Et parce qu'il y a beaucoup de beauté et de sensibilité dans sa manière de dire, de voir, de partager son métier.

The Equalizer (Le justicier) prend l'affiche le 26 septembre.