À l'occasion de la sortie, à Montréal, du deuxième long métrage du cinéaste belge Stephan Streker, Le monde nous appartient, La Presse s'est entretenue avec cet ex-reporter de cinéma qui, à 50 ans, a décidé de quitter sa carrière de journaliste pour occuper le siège instable, mais tellement prestigieux, de réalisateur, avec un style très inspiré par le jeune et audacieux cinéma américain des James Gray ou Paul Thomas Anderson.

Vous avez signé Michael Blanco, votre premier film, en 2004. Le monde nous appartient sort cette semaine sur nos écrans. Que s'est-il passé entre les deux?

J'ai toujours exprimé mon amour du cinéma en tant que journaliste. J'ai fait régulièrement des entrevues de prestige à Los Angeles pour l'hebdo belge Moustique. En 2004, j'ai tourné là-bas Michael Blanco, qui raconte les rêves de gloire du 900 000e acteur de L.A.. Ensuite, je suis redevenu journaliste mais, depuis Le monde nous appartient, j'ai décidé de ne faire que des films. Mon film suivant, Noces, est déjà écrit. Je le tournerai à la fin de l'année. Il est inspiré d'un fait divers, l'histoire d'une jeune Belge d'origine étrangère qui avait refusé un mariage forcé et s'était fait assassiner par son frère.

Le monde nous appartient est aussi tiré d'un fait divers.

Oui, mais je m'en suis tellement libéré qu'il est difficile de le reconnaître. C'était l'histoire d'un gamin qui avait reçu un coup de couteau mortel de la part d'un autre gamin pour un iPod. Je ne sais pourquoi ce fait divers m'avait marqué plus qu'un autre. C'est toujours des histoires terribles qui nous ramènent à notre propre impuissance. Celle-là en disait beaucoup sur notre société. J'en ai fait une histoire de deux êtres unis par le même acte pour montrer la destinée du coupable et de la victime. Si tout les sépare, ils ont beaucoup en commun.

Des critiques français vous reprochent d'avoir fait un film rempli de références au cinéma américain.

On est soi-même à la fois ce qu'on a vécu et tout ce qu'on a aimé au cinéma. Un film, c'est l'addition de ça. Alors oui, il y a des clins d'oeil. Dans le film suivant, il n'y en aura pas. On a toujours à peu près la même chose à dire, mais la façon et la forme évoluent.

Avez-vous des modèles de cinéastes qui vous ont marqué?

Oui, de jeunes cinéastes américains tels que James Gray, Paul Thomas Anderson, Jeff Nichols, pour lesquels je suis éperdu d'admiration. Et d'autres bien sûr comme Michael Mann et Martin Scorsese, ou le réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho.

Olivier Gourmet est au coeur de votre deuxième film et sera dans le prochain. C'est un acteur que vous chérissez?

Entre nous, je pense que c'est le meilleur acteur du monde. Il est formidable, crédible dans tout, totalement premier degré. C'est la marque des meilleurs comédiens: ils ne se protègent jamais. Je pense qu'Olivier fera tous mes films!

Les autres acteurs principaux sont les Français Vincent Rottiers, Ymanol Perset et Reda Kateb. Pourquoi ces choix?

Vincent Rottiers joue le personnage principal de Pouga, auquel il s'est complètement identifié. Je l'avais beaucoup aimé dans d'autres films, notamment dans Avant l'aube. C'est un acteur incandescent qui fait son métier de façon exceptionnelle. Ymanol Perset incarne à merveille le joueur de football. Quant à Reda Kateb, il joue un personnage qui fait penser aux gangsters d'un autre temps. C'est un acteur fantastique.

On déplore cette semaine le décès de Robin Williams. Vous l'aviez rencontré?

J'ai été bouleversé par la nouvelle. Je l'avais interviewé à New York, d'ailleurs le même jour que Philip Seymour Hoffman. C'est curieux, tous les deux disparus à quelques mois d'intervalle. J'étais totalement touché par ce personnage en permanence visité par le génie. Robin Williams était toujours pertinent et drôle. Je lui avais dit qu'il devrait faire plus souvent des films comme The Fisher King, de Terry Gilliam, dans lequel il était extraordinaire. Il m'avait répondu: «Mais vous croyez quoi? Qu'on reçoit des scénarios comme ça toutes les semaines? Bien sûr que j'en ferais plus, des Fisher King!» Il était parti d'un fou rire! Il était épaté par ma naïveté. On ne peut que respecter la fin qu'il a choisie. Ça me rappelle une phrase de Jim Carrey: «On devrait donner la gloire et l'argent à tout le monde, rien que pour se rendre compte que ça ne règle aucun problème.»

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Le monde nous appartient prend l'affiche demain 15 août.