Roman Polanski et Emmanuelle Seigner attendaient de trouver le bon projet pour travailler de nouveau ensemble. Quand le cinéaste a découvert la pièce de David Ives, il a su que ça y était. Quitte à tourner un film en français pour la première fois de sa vie.

Même s'il est né en France, pays où la plupart de ses films ont été produits, Roman Polanski aura quand même attendu d'avoir 79 ans avant de tourner un long métrage en langue française. Ironie du sort, La Vénus à la fourrure est l'adaptation d'une pièce écrite en anglais par le dramaturge américain David Ives.

«Quand Roman m'a fait lire la pièce, j'ai pris peur, raconte Emmanuelle Seigner au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse plus tôt cette semaine. Jouer en anglais ne me pose habituellement aucun problème, mais il est certain qu'avec un texte aussi foisonnant je n'aurais pas été vraiment à mon aise. Roman m'a rassurée tout de suite en m'annonçant qu'il avait l'intention d'en écrire l'adaptation et de tourner son film en français.»

Une histoire de manipulation

Après Carnage, Polanski, vraiment en belle forme, poursuit dans sa veine théâtrale en décrivant cette fois la rencontre inattendue entre une actrice et un metteur en scène dans un théâtre parisien à la suite d'une longue journée infructueuse.

Alors qu'il s'apprête à partir, Thomas (Mathieu Amalric) voit débarquer Vanda (Emmanuelle Seigner) dans son théâtre délabré. Cette jeune femme plutôt vulgaire lui réclame l'audition qu'elle aurait en principe dû passer deux heures plus tôt. À l'évidence, cette actrice inconnue ne convient pas du tout. Mais à force d'insistance, Thomas se laisse convaincre. Il se trouve que la jeune femme se métamorphose complètement dès qu'elle entre dans la peau du personnage, aussi prénommé - un hasard - Vanda.

Cette dernière connaît même sur le bout des doigts le roman érotique de Sacher-Masoch duquel Thomas s'est inspiré pour écrire sa pièce. Dès lors s'installe un jeu de pouvoir et de manipulation entre une actrice pas si idiote et un metteur en scène totalement subjugué par ce qu'il voit. Vanda en viendra à dominer complètement la situation. Du moins, en apparence.

La Vénus à la fourrure est un huis clos à deux personnages dans lequel la scène se transforme parfois en véritable champ de bataille. Talent et séduction sont les armes - redoutables - qu'utilise Vanda dans cet exercice.

«À part le fait que Carnage a été aussi tiré d'une pièce de théâtre, je ne vois aucun lien entre ces deux films, précise l'actrice. À mes yeux, Carnage n'a rien de "polanskien", alors que La Vénus à la fourrure, si. Ce film fait écho aux premiers films de Roman, de nature plus intimiste. Le couteau dans l'eau, Cul-de-sac, Répulsion, etc. Personnellement, je sens plus d'affinités avec cette partie de son oeuvre. J'aime quand Roman s'engage dans des trucs plus atypiques, plus fous.»

Même si Polanski a déjà dirigé sa muse au théâtre il y a une dizaine d'années, à la faveur d'une mise en scène d'Hedda Gabler d'Ibsen, la dynamique n'était cette fois pas la même du tout.

«La Vénus à la fourrure est un vrai film de cinéma, explique Emmanuelle Seigner. C'est ce qui, à mon sens, fait sa force. Et la force du regard de Roman. Le scénario trouve son origine dans la pièce de théâtre, bien sûr, mais nous ne l'avons pas travaillé du tout comme si nous montions sur scène.

«Évidemment, j'ai eu beaucoup de texte à apprendre avant le tournage. J'avais une grande appréhension à cet égard, mais tout s'est bien déroulé. J'ai été rassurée dès la lecture du scénario. Tout était formidablement bien écrit. Roman m'a fait un superbe cadeau.»

Pas d'obsession

Nommée pour le César de la meilleure actrice il y a quelques mois grâce à sa performance dans ce film lancé au Festival de Cannes l'an dernier, l'actrice, aussi chanteuse, n'a aucun autre projet de film à son programme pour l'instant.

«Cela ne m'angoisse pas, dit-elle. J'adore jouer, mais je n'en fais pas une obsession. Quand on a le privilège de camper un personnage aussi fort que celui de Vanda, les propositions subséquentes semblent forcément plus pâles. Vanda m'a permis de jouer tous les registres. Je me suis glissée avec aisance dans chaque facette de sa personnalité. Ce fut un bonheur. J'avais envie de quelque chose de plus intimiste et je ne pouvais rêver mieux que d'un film à deux personnages. Roman avait envie de relever ce genre de défi aussi. Et puis, les personnages féminins très forts sont rares. Je préfère m'abstenir plutôt que de jouer un rôle qui ne m'atteint pas. Je ne désespère pas d'en trouver un autre un jour, mais je me sens déjà choyée. Ce film occupe une place bien particulière dans ma vie, ça, c'est sûr.»

Sorte d'hommage aux actrices aussi, notamment en évoquant un processus qui peut parfois se révéler cruel, La Vénus à la fourrure fait aussi figure de catharsis.

«Le processus d'une audition peut parfois être humiliant pour les actrices, fait remarquer Emmanuelle Seigner. Nous avons toutes vécu cela. À travers ce personnage, je venge peut-être toutes les comédiennes de la Terre!»

La Vénus à la fourrure prend l'affiche le 20 juin.

Recordman des Césars du cinéma français

Depuis la création des Césars du cinéma français en 1976, Roman Polanski est le cinéaste ayant obtenu le César de la meilleure réalisation le plus souvent. Le réalisateur de La Vénus à la fourrure en a maintenant quatre dans sa collection. Cette année marque la première fois où il est récompensé pour un film

en langue française.

Tess (1980)

Cette adaptation du roman Tess d'Urberville de Thomas Hardy vaut à Polanski son tout premier César de la meilleure réalisation. Dans la jeune histoire de la cérémonie, cette récompense est remise pour une première fois à un réalisateur ayant tourné en anglais un film produit en France. Grâce à sa performance dans ce film, une jeune actrice nommée Nastassja Kinski atteint la renommée mondiale.

The Pianist (2003)

Déjà lauréat de la Palme d'or du Festival de Cannes en 2002 grâce à ce film qui, sans raconter sa propre histoire, évoque son enfance pendant la guerre en Pologne, Polanski obtient l'année suivante d'autres honneurs. Il décroche un deuxième César, mais aussi l'Oscar de la meilleure réalisation. Fuyant la justice américaine pour une affaire de viol, le cinéaste n'est pas allé chercher sa statuette à Hollywood.

The Ghost Writer (2011)

Lancé en 2010 au Festival de Berlin en l'absence du cinéaste, qui est alors en résidence surveillée en Suisse, The Ghost Writer vaut à Polanski le troisième César de la meilleure réalisation de sa carrière. «Je n'ai pas l'habitude de faire des discours, mais puisque ce film s'est terminé «en taule», je voudrais remercier tous ceux sans qui ça n'aurait pu se passer, tous ceux qui m'ont soutenu», a-t-il déclaré à la cérémonie.

La Vénus à la fourrure (2014)

Écarté du palmarès du Festival de Cannes l'an dernier, Polanski a été très surpris d'être appelé sur scène pour recevoir le quatrième César de la meilleure réalisation de sa carrière. D'autant que ce prix constitue le seul qu'a obtenu son film au cours de la soirée. «Là, vraiment, je ne m'y attendais pas, a-t-il déclaré sur scène. Faut que vous me croyiez. Et je ne sais pas très bien quoi dire!»

Photo Associated Press

Roman Polanski