Vivre une histoire d'amour intense avec un (e) inconnu (e) pendant quelques heures? Emmanuelle Devos et Gabriel Byrne modulent la partition délicate que leur a écrite Jérôme Bonnell pour une rencontre de cette nature.

Dans un train, les regards de deux inconnus se croisent. Elle est actrice, il est anglais. Ils s'offriront le vertige de l'amour, en toute connaissance de cause, le temps de quelques heures à peine. Le thème d'une rencontre amoureuse fortuite a maintes fois été traité au cinéma (on peut remonter jusqu'à Brief Encounter de David Lean), mais Jérôme Bonnell (Le chignon d'Olga) a voulu apporter une couleur particulière.

Les obstacles qui se posent en travers de cet amour naissant, entre deux êtres qui vivent déjà en couple, ne sont guère d'ordre moral ici. Ils relèvent plutôt d'un questionnement intérieur. Un individu ayant déjà du «vécu» derrière lui est-il prêt à tout effacer pour se construire une nouvelle vie ailleurs avec quelqu'un d'autre? Vaut-il mieux vivre l'instant présent comme une fulgurance?

«Je trouvais intéressant d'explorer ce thème, expliquait Jérôme Bonnell lors d'un entretien accordé à La Presse dans le cadre des Rendez-vous d'Unifrance, tenus à Paris au début de l'année. J'adore Brief Encounter, un film sublime, mais la manière de raconter l'histoire correspond quand même à une autre époque. Là, je tenais à ce que les actes des personnages ne soient pas dictés par un sentiment de culpabilité ni par les codes sociaux. Je préférais que l'obstacle qu'ils ont à franchir soit plus indicible, plus impalpable.»

Sur mesure pour Emmanuelle Devos

Le temps de l'aventure est le cinquième long métrage de Jérôme Bonnell. En 2007, Emmanuelle Devos a tenu un rôle dans J'attends quelqu'un, un film choral (inédit au Québec) dans lequel elle incarnait un personnage plus secondaire. Subjugué par le talent de l'actrice, l'auteur-cinéaste a cette fois écrit son film spécifiquement pour elle.

«Il y a évidemment toujours un risque quand on procède de la sorte, reconnaît Jérôme Bonnell. Si le scénario n'avait pas plu à Emmanuelle, je crois que j'aurais tout simplement renoncé à faire le film. Emmanuelle se renouvelle constamment. C'est fascinant. Avec elle, aucune prise ne ressemble à une autre. Son bonheur de jouer est tellement communicatif qu'on devient tout simplement spectateur derrière la caméra.»

Face à elle, Gabriel Byrne. Dont la technique - très anglo-saxonne - se situe à l'opposé. C'est après l'avoir rencontré dans un festival que Bonnell a eu envie de travailler avec l'acteur britannique.

«De faire de ce personnage un Anglais sans nom amenait aussi une dimension plus inattendue, explique-t-il. Tout d'abord, cela faisait en sorte que les chances que cette Française et ce Britannique se revoient un jour étaient plus minces. Mais au-delà de la géographie, la langue anglaise m'a permis d'écrire des dialogues de manière différente. Moi qui suis très pudique dans la vie - c'est pour cela que je filme aussi les choses très pudiquement -, je me suis aperçu que je pouvais exprimer les choses plus clairement en anglais, avec moins d'inhibitions. Cette langue est plus directe, moins affectée.

«Évidemment, poursuit-il, Emmanuelle et Gabriel n'ont pas du tout la même approche du jeu. Autant Emmanuelle est spontanée, libre et toujours dans le plaisir, autant Gabriel est cartésien. Il aime avoir ses marques et savoir ce qu'il doit faire de façon très précise. Pour être franc, j'ai découvert toute la subtilité de son travail seulement à l'étape du montage. Il était vraiment habité. J'ai été très ému à la fin du tournage quand il m'a dit repartir «chargé de quelque chose de profond».»

La vie intérieure d'une actrice

Autre aspect de l'histoire: Alix, le personnage féminin, est une actrice. Là où la tentation aurait été grande de la montrer en performance sur scène, Jérôme Bonnell a préféré plutôt se glisser dans les coulisses du métier.

«Le point de départ de l'écriture découle d'une envie de raconter une rencontre entre deux personnes qui ne se connaissent pas, dit-il. Et qui ne se connaîtront probablement pas davantage qu'à travers les moments qu'ils auront passés ensemble. En fait, il s'agissait de créer un suspense amoureux plus fort que n'est la réalité. J'ai fait d'Alix une actrice, car cela me permettait d'illustrer comment la vie intervient dans le quotidien d'une personne dont la scène constitue le plus grand espace de liberté. Et comment on s'y prépare. J'ai donc essayé de filmer ce que peut ressentir une comédienne intérieurement, plutôt que de la montrer en train de jouer. J'adore les acteurs. Ils me fascinent, m'émeuvent, et ils restent énigmatiques à mes yeux. Par le biais d'Alix, j'essaie de percer leur mystère.»

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Le temps de l'aventure prend l'affiche le 9 mai. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.