En 1968, un grand cinéaste arrive en Abitibi pour mener une expérience de télévision anticapitaliste. Son très court passage devient un révélateur de passions chez certains jeunes qui se demandent s'ils doivent partir ou rester en région. Un sujet toujours très actuel.

Éric Morin ne saurait dire à quel point le passage de Jean-Luc Godard à Rouyn-Noranda, en décembre 1968, a laissé des traces dans l'imaginaire populaire.

Certes, dans les deux ou trois années suivantes, quelques artisans de l'image, réunis sous le nom de Le Bloc, ont fait de la télévision populaire et ont donné la parole aux travailleurs à partir des locaux de Radio-Nord.

«Mais je ne dis pas que Godard a eu un impact, indique Morin. Je ne sais pas si les gens de ce groupe se réclamaient de son passage.»

De son côté, le cinéaste, qui est né en 1971, s'est nourri de ce qu'il qualifie de «fait d'hiver» pour alimenter le scénario de son premier long métrage. Et pour traduire les questionnements qui l'ont tenaillé, comme bien d'autres, à l'adolescence et dans la vingtaine.

«L'histoire de Godard est l'étincelle de mon idée, dit Morin. C'est le prétexte pour parler de cette émotion qui peut nous saisir: partir ou rester dans notre région natale?»

Références

Intitulé Chasse au Godard d'Abbittibbi, le long métrage de Morin relate l'histoire fictive de Marie (Sophie Desmarais) et de Michel (Alexandre Castonguay), jeune couple de Rouyn dont la vie tranquille va être bousculée par l'arrivée de Jean-Luc Godard et de sa cour. Dont un certain Paul (Martin Dubreuil), mâle alpha montréalais qui va mener une double charge journalistique et romantique auprès de Marie.

«Les personnages du couple sont à l'opposé, dit Éric Morin. Michel veut bâtir sa vie en Abitibi et travailler pour sa communauté alors que Marie est la rêveuse qui veut partir. Elle veut fuir. Mais c'est une fuite positive. Elle est beaucoup plus proche de moi.»

Quant à Paul, il est inspiré de Pierre Harel, cinéaste et futur membre d'Offenbach (en 1968), qui a accompagné Godard en Abitibi. Il y a aussi un peu de Lucien Francoeur en Paul, suggère-t-on à Martin Dubreuil. L'acteur acquiesce.

«Harel et Francoeur sont deux modèles», dit le comédien qui, pour les besoins du film, a composé une chanson qu'il interprète avec une partie de son (vrai) groupe, Les Breastfeeders. «Mon côté rock montréalais des années 70 s'exprime à travers mon personnage. Paul évoque le côté musical de l'histoire. Il est le gars cultivé qui débarque en région. Il représente l'avant-garde. C'est un homme d'action, mais il est aussi opportuniste et vaniteux.»

Natif de Rouyn, longtemps exilé à Montréal et maintenant de retour dans sa région, Éric Morin (Ils dansent, Mange ta ville) s'est fait plaisir avec Chasse au Godard, qui constitue une suite logique à son court métrage Décembre 1970, dans lequel il a abordé les mêmes thèmes.

Diplômé de cinéma, Morin ne s'est pas privé de faire des références tant au cinéma de la Nouvelle Vague française qu'au cinéma-vérité québécois. En marge du scénario, on retiendra son plaisir évident à jouer avec les formats cinématographiques. Ses insertions d'images vidéo en noir et blanc font directement référence aux expériences réalisées par Godard.

«Godard a eu une grande influence esthétique au cinéma, dit Morin. Il a également atteint un niveau d'humour pince-sans-rire qui me plaît beaucoup. Mais je ne suis pas un fan fini de lui. Au sens strict du divertissement, j'aime davantage François Truffaut.»

Le film sort en salle le 1er novembre.

À propos du passage de Godard

En 1968, Rouyn-Noranda reçoit la visite de Jean-Luc Godard. Le réalisateur phare de la Nouvelle Vague française vient y mener une expérience de télévision populaire afin de donner la parole aux travailleurs, notamment les mineurs en grève.

Godard et une poignée d'artisans aboutissent dans les studios de Radio-Nord. Dans le groupe, on note la présence du photographe et directeur photo Guy Borremans, de Pierre Harel, futur membre d'Offenbach, et de Louise Bédard, qui fait une petite apparition dans le film d'Éric Morin.

Une émission est diffusée le 16 décembre. Mais l'affaire dérape vite, notamment en raison des conditions climatiques.

Compagne de Godard, Anne Wiazemsky se voit incapable de tourner une scène extérieure. Au bout de quelques jours, Godard se lasse et décampe. Cette histoire est racontée en détail dans Mai en décembre (Godard en Abitibi), documentaire de Julie Perron produit à l'ONF (disponible en ligne). Elle est aussi relatée dans la biographie du réalisateur d'À bout de souffle signée par Antoine de Baecque.