Durant le tournage du film Camion à Dégelis, village natal du réalisateur Rafaël Ouellet, le comédien Julien Poulin a ressenti tout l'attachement du cinéaste à son coin de pays. «Rafaël était comme un jardinier avec ses fleurs», dit joliment M. Poulin, interprète de Germain, personnage principal.

L'allusion n'est pas fortuite lorsqu'on constate que ce film intimiste (prix de la meilleure réalisation et prix du jury oecuménique au 47e Festival international du film de Karlovy Vary) aborde le thème des racines. Celles qui, bien entendu, rattachent chacun de nous à sa famille, à ses amis, à son enfance et à un bout de terre. À son chez-soi intérieur, en somme.

Enfant de Dégelis, dans le Bas-Saint-Laurent, où il a, à ce jour, tourné tous ses films, Rafaël Ouellet s'en nourrit et en tire des réflexions qu'il transpose à l'écran. Pour le cinéaste, il est impératif de savoir d'où l'on vient et d'où viennent nos gènes, dira-t-il de façon récurrente à La Presse.

«Ce n'est pas pour rien que les membres de la famille du film s'appellent les Racine», glisse-t-il avec le sourire d'un gamin qui vient de commettre un péché véniel.

Les Racine, ce sont Germain (Poulin), le père, Alain (Stéphane Breton), le fils bohème, et Samuel (Patrice Dubois), le fils coincé. À la suite d'un drame survenu au volant de son camion chargé de billots de bois, Germain appelle ses fils à l'aide. De cette réunion naîtra une série de confrontations qui, au lieu de diviser le clan, ramènera chaque personnage à ces liens de terre et de sang qui les définissent.

Or, avant même ce drame, le personnage central était sur le point de vivre un moment charnière dans sa vie. «Germain arrive à la fin de sa carrière, dit M. Poulin. Ce n'est pas évident. Au moment de ce passage, tu vois les conséquences de tes choix, de ton travail.»

À 66 ans et avec une longue route derrière lui, le comédien sait de quoi il parle. «C'est incroyable, les réflexions qu'on a à cet âge-là, poursuit-il. Tous nos souvenirs deviennent plus clairs. On se demande pourquoi on a fait tel choix, pourquoi on a eu tel intérêt. On a une certaine mélancolie. Et c'est ça, la mélancolie, que vit Germain.»

Hommage au père

Bien que le film ne soit pas autobiographique, Rafaël Ouellet y voit un hommage à son père, camionneur qui, comme Germain, a pris sa retraite cette année.

«Je regarde peu la télé, mais j'avais suivi Minuit, le soir de Podz qui est un ami, dit Ouellet. Et j'écrivais le scénario de mon film lorsque j'ai été invité à son 40e anniversaire. À table, Julien était assis en face de moi. J'avais déjà pensé à lui pour le rôle du père, mais, après cette soirée, je ne voyais que lui. J'avais besoin de croire en un comédien qui puisse avoir une arme à feu dans les mains ou conduire un camion. Julien a le talent pour cela.»

Assis à côté du réalisateur, M. Poulin enchaîne en évoquant le personnage dont il aime l'étoffe. «Je comprenais Germain et j'aimais pouvoir l'interpréter sans toujours passer par des mots et des dialogues, dit-il. Au cinéma, on doit être capable de faire ça.»

De fait, dans ce film de région et de fierté, où l'on fend du bois et on va à la chasse, le spectateur rencontre des hommes de peu de mots, qui trouvent une fondation solide à travers les épreuves.

«Ce que je dis à propos de la famille, on pourrait l'extrapoler à la société, dit le réalisateur. Au lieu de se chicaner, on pourrait peut-être s'asseoir deux secondes, voir où sont nos forces et faiblesses et travailler ensemble. J'aimerais que certaines personnes y voient un message d'entraide et d'espoir. Comme le père avec ses enfants et vice versa. Ensemble, ils se disent qu'ils vont avancer dans la vie au lieu de se chicaner et d'aller se cacher chacun de son côté.»

***

Rafaël Ouellet a fait appel à ses amis Viviane Audet et Robin-Joël Cool pour créer la trame sonore de Camion. Celle-ci sera en vente sur iTunes à compter de mercredi prochain, ajoute le cinéaste. «Viviane jouait dans mon film Le cèdre penché, rappelle M. Ouellet. C'est devenu une amie. Robin-Joël et elle ont été mes voisins. Ils font partie de ma famille montréalaise. De plus, ils ont leur band, Mentana. Je sentais qu'il y avait quelque chose dans la musique de ce band qui pouvait s'harmoniser avec mon film. Je leur ai donc demandé d'écrire une trame sonore et ils ont embarqué.» Tout en laissant une grande liberté au tandem dans la composition, le réalisateur a participé à des séances de création et d'enregistrement avec eux. «Ensemble, on a trouvé le bon dosage musical», dit-il. Outre la musique originale, deux pièces de Mentana se retrouvent aussi dans Camion.

***

Camion prend l'affiche le 17 août.