Présenté aux Rendez-vous du cinéma québécois le printemps dernier, La route devant est l'aboutissement d'un long travail de recherche mené par Stefan Ivanov pendant quatre ans dans la communauté rom de Bulgarie. Directeur photo depuis 30 ans, ce Montréalais d'adoption propose un premier film documentaire aux images saisissantes, qui donne la parole aux derniers porteurs de traditions tsiganes.

Stefan Ivanov a grandi à Sofia, en Bulgarie, en côtoyant des Roms qui exerçaient des métiers plus intrigants les uns que les autres: chaudronnier, étameur, ferronnier, ferblantier, dresseur d'ours, sans compter tous les musiciens qui se promènent depuis la nuit des temps, de village en village, avec leurs orchestres et leurs fanfares.

«Les Roms que j'ai voulu rencontrer, ce sont ceux qui essaient encore de maintenir ces traditions nomades et qui ont trouvé le moyen de survivre. Quand j'étais jeune, il y avait des Tsiganes qui passaient dans les rues de mon village en s'annonçant comme chaudronniers. Ils faisaient un feu dans la cour avec du charbon de bois, et ils faisaient briller les chaudrons. Je voulais savoir ce qu'ils étaient devenus aujourd'hui», dit Stefan Ivanov, qui vit au Québec depuis 16 ans.

La crise économique et la marginalisation de plus en plus grande de cette communauté, évaluée à 800 000 personnes en Bulgarie, lui ont donné envie d'aller à leur rencontre. Pour voir comment les Roms s'adaptent au monde moderne. Et ce qu'il reste de leurs traditions, sans tomber dans les clichés. «Avant, ils étaient tolérés. Aujourd'hui, j'ai l'impression qu'avec la montée du nationalisme, combinée à la crise économique, il y a un renfermement de ces communautés.»

Q : Vous commencez le film en évoquant vos souvenirs d'enfance, mais les Roms que vous avez rencontrés prennent vite le relais. C'est leur histoire que vous nous racontez, pas la vôtre.

R : C'est quand même mon regard que je porte sur eux, mais je voulais leur donner la parole. Vous savez, ils n'ont pas souvent l'occasion de s'exprimer. Et lorsque les médias s'intéressent à eux, c'est souvent lié à des événements négatifs.

Q : Votre expérience comme directeur photo [il a notamment travaillé avec Raoul Ruiz sur le film Genealogy of a Crime] est évidente dans ce film très visuel, qui présente des images extraordinaires, filmées avec beaucoup de patience.

R : Ce que j'aime dans le documentaire, ce n'est pas tant le reportage journalistique que les images qui nous permettent de pénétrer dans un univers et d'exprimer les conflits qui existent dans un territoire. Dans ce documentaire, les personnages que j'ai suivis sont tous assez originaux. Je les ai suivis pendant deux mois. Et je les ai écoutés.

Q : Il y a, en effet, un trompettiste qui voyage avec son orchestre, un étameur qui récupère des téléviseurs défectueux, et même un ferronnier qui a gagné sa vie comme dresseur d'ours! Où avez-vous trouvé ces gens-là?

R : Ça n'a pas été facile. Il a fallu que je gagne la confiance des leaders de ces communautés. Le dresseur d'ours était le personnage le plus attachant, il raconte sa vie avec son ours, les voyages qu'ils faisaient ensemble dans sa Volga, et aussi les cuites qu'ils prenaient ensemble! C'était une rencontre passionnante. Aujourd'hui, il vit seul, dépassé par la modernité... Son ours est dans un parc subventionné par l'association de Brigitte Bardot, qui récupère ces ours pour leur assurer une sorte de retraite.

Q : Est-ce que vous avez le sentiment que les Roms peuvent s'adapter au monde moderne sans se faire totalement assimiler?

R : Je pense que oui. Ça fait des siècles qu'ils vivent sans frontières et ils se sont toujours adaptés à leur environnement. Ils parlent tous bulgare, d'ailleurs. Il y a une certaine adaptation par rapport à la vie d'aujourd'hui. Par exemple, ceux qui font de la récupération de vieux téléviseurs, ce sont des gens qui, à l'époque, étamaient des chaudrons dans les villages. En même temps, ils ont conservé plusieurs traditions et vivent toujours selon leurs codes moraux. Ce sont des gens fiers et débrouillards. Leur scolarisation est sans doute le meilleur moyen de préserver leur culture.

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À l'affiche d'Excentris à partir du 3 août.