Réal Bossé avoue que Continental, un film sans fusil n’a pas d’équivalent au cinéma québécois. Une sorte d’ovni où le spectateur, à travers le quotidien banal de quatre personnages, est amené à se poser des questions sur sa propre existence.

Le comédien n’est pas peu fier de faire partie du premier long métrage de Stéphane Lafleur. Au lendemain de la première canadienne du film, en septembre, au Festival de Toronto, Bossé ne tarissait pas d’éloges à l’endroit du jeune scénariste et cinéaste.

« Un vrai film d’auteur, avec une vraie signature, un vrai propos, une vraie prise de position, lance-t-il au Soleil, avec enthousiasme. C’est ce qui manque au cinéma en général, et pas seulement au Québec. On veut trop plaire, ce qui fait qu’on ne dit pas toujours ce qu’on a envie de dire. »

Continental, un film sans fusil compte quatre histoires parallèles, reliées par des fils plutôt ténus. Quatre personnages qui n’ont pas beaucoup en commun, sinon s’accrocher à une vie sur le pilote automatique.

Un vendeur d’assurances en voyage d’affaires (Réal Bossé), et dont la vie conjugale traverse une mauvaise passe. Une réceptionniste d’hôtel timide qui cherche à sortir de son isolement (Fanny Mallette). Une femme (Marie-Ginette Guay) qui tente de se remettre de la disparition inexpliquée de son mari. Un ancien joueur compulsif (Gilbert Sicotte) qui se remet aux vidéopokers, en espérant pouvoir se payer une coûteuse opération dentaire.

Le scénario de Lafleur, construit sous forme de vignettes et de plans fixes, dévoile au compte-gouttes le vide existentiel de ce quatuor, dans la grisaille d’un quotidien où se côtoient désespoir et humour. Pour Réal Bossé, ce choix artistique fait en sorte que le spectateur en vient à s’interroger sur ses propres choix de vie.

Qui suis-je? Où vais-je?

« Je trouve intéressant ces moments où tu te demandes où tu es rendu dans ta vie. Qui suis-je? Qu’est-ce que je fais là? Suis-je déjà vieux? Pourquoi je n’ai pas de bébé? J’aime-tu encore ma femme? Pourquoi ma vie est-elle si vide alors qu’elle était si pleine avant? À part un décès ou un divorce, il n’y a jamais de changements fulgurants dans une vie. Ce sont presque toujours de petits changements qui t’amènent à devenir une meilleure personne. Tous ces moments sont universels et parlent à tout le monde.

« Le film te donne l’opportunité d’avoir un réel regard sur les personnages, poursuit le comédien, vu au grand écran dans La bouteille et Dans une galaxie près de chez vous. « Tu as le temps d’observer, ce qui n’est pas toujours le cas au cinéma, en général, où on veut que ça brasse, que ça déboule, qu’il se passe toujours quelque chose. Comme si la réflexion était ennuyante. »

Réal Bossé a vu le film plusieurs fois, dont la première à la Mostra de Venise. À chaque projection, il dit s’amuser ferme. « Je ris comme un fou, parce que je vois des choses que je n’avais pas remarquées la fois d’avant. »

Un cadeau inespéré pour Marie-Ginette Guay

Il a fallu plus de 25 ans à Marie-Ginette Guay pour décrocher un rôle principal dans un long métrage. Depuis sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Québec, en 1980, la directrice artistique du Périscope a fait presque exclusivement carrière sur les planches de la capitale. Aussi, Continental, un film sans fusil représente pour elle un cadeau inespéré.

Le bonheur est d’autant plus grand, confie-t-elle, que le film de Stéphane Lafleur l’a complètement séduite par son approche originale de la vie de gens ordinaires, comme si le jeune cinéaste épiait, sans porter de jugement, ce qui se passe chez le voisin d’à côté.

« Comme comédien, on est toujours curieux de connaître les gens, d’en savoir plus sur eux. C’est ce qui nous nourrit. Ton voisin aussi a peut-être peur de vieillir. Stéphane porte justement attention à des personnes sur lesquelles on ne s’attarde pas d’habitude. C’est un film tout en simplicité, où il arrive de grandes choses à travers des petites choses. J’ai été touchée par sa richesse, son côté humain et très tendre, par son humour aussi. »

Son personnage de Lucette, l’un des quatre piliers du film, est une femme sans histoire d’une banlieue anonyme, qui voit sa vie basculer après l’étrange disparition de son mari. Du coup, elle se retrouvera seule et démunie, essayant tant bien que mal de reprendre goût à la vie, en fréquentant des soirées dansantes. Le titre allégorique fait d’ailleurs référence au continental, où tout le monde fait les mêmes mouvements, les uns à côté des autres, sans se toucher.

« On s’aperçoit que tous ces “tout-seuls” ne sont pas tout seuls à être tout seuls, lance la comédienne, dans un trait d’humour. La solitude de l’un renvoie à la solitude de l’autre, comme une grande chaîne humaine. Et même si les situations de chacun sont difficiles, ce n'est pas lourd pour autant. »