Ken Scott me rejoint au Tapeo, rue Villeray. L'ex-acteur et humoriste (Les Bizarroïdes) devenu scénariste (La grande séduction, Maurice Richard), réalisera bientôt son premier long métrage, Les doigts croches, qui vient de recevoir l'aval de la SODEC et de Téléfilm Canada. Il travaille aussi à l'adaptation pour le cinéma d'un roman jeunesse sur l'Holocauste, Hana's Suitcase, qui sera tourné en anglais. Discussion sur le bilinguisme.

Marc Cassivi: On parle beaucoup en ce moment de bilinguisme. Je m'y intéresse depuis longtemps. J'ai grandi dans le West-Island. C'était un peu comme vivre en Ontario. La force du nombre fait en sorte qu'on s'assimile facilement à la culture dominante. Quand j'étais jeune, tout se passait en anglais. Même à l'école, entre francophones, on parlait en anglais. Je comprends très bien la nécessité de protéger sa langue lorsqu'on est minoritaire.

Ken Scott: Mon père est anglophone et je suis sûr qu'il me considère d'abord comme francophone, même en ce qui concerne la politique. Je fais sans doute exprès pour entretenir le doute sur mes convictions politiques dans ma famille, question de nourrir les discussions. Mais parmi mes amis francophones, ce qui est drôle, c'est que je suis considéré comme l'anglo et probablement, parce que je ne me prononce pas clairement là-dessus, comme un fédéraliste. J'aime entretenir le mythe.

M.C.: C'est drôle de pouvoir jouer sur cette double identité, qui est à la fois une richesse. Je suis peut-être naïf, mais je m'étonne d'entendre Victor-Lévy Beaulieu dire qu'il n'est pas bilingue par choix. C'est un geste politique, évidemment, mais je trouve aussi que c'est un geste borné.

K.S.: C'est comme se construire soi-même une prison. Je ne parle pas seulement d'apprendre l'anglais, mais d'apprendre l'espagnol et d'autres langues. D'être ouvert à communiquer avec un maximum de gens. La planète se mondialise et si on est uniquement capable de parler le québécois, on ne sera pas de la partie. Il faut se donner les outils pour protéger notre culture, mais ce n'est certainement pas en se refermant sur nous-mêmes qu'on va pouvoir le faire.

M.C.: Il faut protéger nos acquis. On est tous d'accord là-dessus. Je ne suis pas d'accord avec VLB. Mais je comprends ses craintes. J'ai pratiquement vécu l'assimilation. Il y a un réel danger à être assimilé à une culture dominante.

K.S.: C'est clair. Si on ne prend pas les moyens de protéger la langue française, elle va disparaître. C'est sûr. Mais ce n'est pas en se refermant qu'on va la protéger. Au contraire, c'est en s'ouvrant sur le monde, en s'exportant, en faisant des oeuvres qui sont appréciées ailleurs. C'est aussi une façon de protéger notre culture. Ça ne veut pas dire de ne pas apprendre l'anglais.

M.C.: Je comprends les appréhensions de ceux qui craignent pour l'avenir de notre langue, mais la peur obsessive de certains vis-à-vis de l'anglais me semble symptomatique d'autres maux. Je trouve que c'est d'une certaine manière une question générationnelle. Je ne sens pas autour de moi, chez les gens de ma génération, de complexes liés à la langue. On s'intéresse à d'autres cultures, on écoute de la musique et on voit des films qui viennent d'ailleurs, notamment des États-Unis. Pas parce qu'on est colonisés, mais parce qu'on a confiance en notre langue et notre culture. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas protéger nos acquis.

K.S.: Aujourd'hui, le combat qu'on mène pour protéger la langue française n'est pas le même que celui qui était mené dans les années 40 ou 50, à l'époque de Maurice Richard, alors que les anglos étaient les patrons et les francophones étaient opprimés. Le Journal de Montréal a fait une série récemment sur le fait qu'il était difficile de se faire servir en français à Montréal. Ce n'est pas ma réalité, et je ne crois pas que ce soit la réalité de la majorité des Montréalais, sauf peut-être, comme tu le dis, dans le West-Island. Bien des progrès ont été faits depuis les années 50. De se révolter de la même façon qu'à l'époque, alors qu'on n'est plus rendus là...

M.C.: Ça peut paraître déphasé. On ne peut plus appréhender les choses de la même façon, même si le combat pour la langue reste constant. Il ne faut pas baisser la garde. C'est sans doute ce que veut dire VLB. Mais on ne peut pas non plus nier les résultats de la loi 101. Il y a une différence énorme entre le bilinguisme individuel et le bilinguisme d'État, que personne ne souhaite au Québec. Je trouve aussi qu'il y a beaucoup d'idées reçues sur la place de l'anglais à Montréal. Au coin de Peel et Sainte-Catherine, c'est vrai que ça se passe en anglais. Mais Montréal, ce n'est pas que ça. J'ai quitté le West-Island il y a 15 ans et depuis, ça s'est beaucoup francisé.

K.S.: Je suis né au Nouveau-Brunswick, mais j'ai grandi à Laval. Tout se passait en français.

M.C.: Aujourd'hui, il y a une jeune génération d'artistes québécois qui fait de l'art dans d'autres langues que le français. Ceux qui les considèrent comme des traîtres, des vendus ou des colonisés sont surtout, à mon avis, des gens d'une autre génération. Les jeunes sont décomplexés par rapport à la question linguistique. Ils ne sont pas atteints du syndrome «I want to pogne». On dira qu'ils sont insouciants, qu'ils ne reconnaissent pas les combats qui ont été menés pour eux par ceux qui les ont précédés. Je trouve que c'est un peu simpliste comme raisonnement. Tu prépares un scénario en anglais. Penses-tu qu'on va bientôt te le reprocher?

K.S.: Je ne l'ai pas encore entendu. Je suis bilingue. Pour moi, c'est organique. De pouvoir travailler en anglais, c'est évident que ça ouvre des portes. Si le Cirque du Soleil a un tel rayonnement international, si Guy Laliberté a autant de contrats à l'étranger, j'imagine que c'est aussi parce qu'il peut communiquer dans une langue qui est commune à bien des gens dans le monde. Est-ce qu'il aurait pu faire ça en parlant seulement le français? Il est un ambassadeur du Québec à l'étranger. Il fait travailler combien d'artistes québécois dans le monde? Le Cirque, c'est un tremplin hallucinant.

M.C.: Le nombre de metteurs en scène de talent qu'il a lancés sur la scène internationale...

K.S.: J'imagine que lorsqu'ils travaillent à Las Vegas, en Europe ou au Japon, ils doivent parfois se servir de l'anglais. Ça ne change rien au fait qu'ils soient québécois, qu'ils aient une façon de faire et de penser qui soit québécoise. Ils sont tous des ambassadeurs du Québec et de notre culture.

M.C.: Guy Laliberté pourrait facilement dire: «J'embauche la crème des metteurs en scène du monde entier, le meilleur metteur en scène japonais pour mon spectacle permanent au Japon», sans se soucier de mettre de l'avant les créateurs québécois. S'il continue de le faire, c'est parce qu'il croit en sa culture.

K.S.: C'est aussi ça, protéger sa culture.