Le statut de l'artiste est un thème qui «interpelle» François Ozon. Les rapports complexes qu'entretiennent les écrivains avec le réel et l'imagination aussi. Quand un ami lui a suggéré de lire le roman d'une Britannique nommée Elizabeth Taylor (aucun lien avec la légendaire actrice), le cinéaste n'a pu résister.

«Cet ami m'a simplement dit: "Lis ça, c'est pour toi!"», a expliqué Ozon au cours d'une rencontre de presse organisée il y a quelques mois à Paris. «Évidemment, il y a, dans mon entourage, plein de gens bien intentionnés qui me font des suggestions de lecture, mais là je sentais bien, dans son ton, que cet ami y trouvait une évidence. Et c'est vrai qu'en lisant Angel, j'ai tout de suite vu un film.»

À l'époque, Ozon sortait tout juste du tournage - assez éprouvant - de 8 femmes. L'idée de mettre en chantier un autre projet de même envergure ne lui souriait pas du tout. «Je me suis plutôt lancé dans Swimming Pool, un film plus simple, dont l'intrigue s'articule autour de l'acte créatif, l'écriture d'un roman en l'occurrence. À vrai dire, il m'a fallu réaliser trois films à caractère plus intimiste avant de me sentir capable d'affronter Angel

Appréhendant les écueils d'un tournage dans un autre pays et dans une autre langue, Ozon a en effet tenu à se sentir d'attaque avant de plonger. Malgré cela, il affirme avec son plus beau sourire avoir quand même vécu une espèce de cauchemar. Lequel découle surtout des méthodes de travail prisées par les Anglo-Saxons.

«Cela n'enlève rien à la valeur du film, qui est tout à fait conforme à ma vision, mais il est vrai que je devais travailler cette fois dans un milieu très différent, explique le cinéaste. Premièrement, je ne maîtrise pas assez bien l'anglais pour écrire dans cette langue. J'ai donc rédigé une première version en français pour ensuite la faire adapter par le dramaturge Martin Crimp. L'anglais est une langue magnifique pour manier l'ironie, cela dit. Et Martin a fait un travail remarquable en adaptant les dialogues. Donc, tout s'est bien passé de ce côté.»

En fait, c'est davantage à l'étape du tournage qu'Ozon a eu plus de mal à s'adapter. Tant sur le plan du travail avec les comédiens que du côté du système - très hiérarchisé - dans lequel évoluent les équipes techniques britanniques.

«Les acteurs anglais sont les plus professionnels du monde, reconnaît le cinéaste. Ils travaillent beaucoup en amont, connaissent les moindres détails du scénario par coeur, et ils vous proposent plein de choses. En revanche, ils sont très perturbés dès que vous apportez le moindre changement à ce qui est prévu au programme. Voilà le revers de leur méthode, très rigide. En France, les acteurs sont prêts à tout faire parce qu'ils n'ont pas travaillé avant!» lance-t-il en riant.

Renoncer à Nicole Kidman

Au départ, Nicole Kidman, très entichée du roman, avait donné son accord verbal à François Ozon pour tenir le rôle de l'héroïne. Le réalisateur a finalement dû renoncer - au grand désespoir de ses producteurs - à faire appel à la plus grande star féminine internationale du moment. Il n'arrivait tout simplement pas à imaginer l'actrice dans la peau d'Angel. Romola Garai, vue récemment dans Atonement, a finalement hérité du rôle.

«Je me suis emballé un peu vite! explique Ozon. Il est certain que n'importe quel cinéaste mourrait d'envie de tourner avec Nicole Kidman, mais plus j'avançais dans le projet, plus il devenait clair que Nicole ne pouvait pas être crédible dans la peau d'une femme âgée de 20 ans. Je ne voulais pas trahir le roman.»

Le récit, campé au tout début du XXe siècle, tourne en effet autour de l'ascension fulgurante d'une jeune romancière, Angel Deverell, dont les livres connaissent un très grand succès populaire malgré leur piètre qualité. S'élevant dans la société grâce à sa nouvelle notoriété, la femme-enfant se la joue à fond, au risque de se brûler les ailes. D'autant plus que, même si elle nie la réalité, la Première Guerre mondiale la force à jeter un regard différent sur le monde.

«Angel est un personnage qui n'est pas spécialement sympathique; c'est plutôt le contraire même! observe Ozon. D'ailleurs le roman était très noir; encore plus noir que le film. Dans le bouquin, Angel s'amourache d'un peintre dont le travail est tout aussi médiocre que le sien. Moi, j'ai fait de son amoureux un peintre dont le talent sera reconnu beaucoup plus tard. Je voulais ainsi mettre en contraste le succès populaire immédiat, gratifiant, issu pourtant d'une oeuvre peu intéressante; et la quête d'un artiste qui poursuit sa démarche malgré tout. Par masochisme, je me suis surtout identifié à elle!»

Un échec public

Nourri au cinéma de Douglas Sirk et rêvant tout jeune à l'univers de Sissi l'impératrice, Ozon s'en est donné à coeur joie en jouant à fond la carte du romanesque, évoquant ainsi autant l'âge d'or du cinéma hollywoodien (Romola Garai voit son personnage comme une cousine de Scarlett O'Hara), que les fresques baroques à la Ludwig de Visconti.

«Il est vrai qu'il y a une filiation, confirme le cinéaste. En même temps, je ne suis pas toujours conscient de toutes ces références au moment où je tourne. Mon approche se situe vraiment au premier degré. Il le fallait pour être au diapason du personnage.»

Sorti il y a plus d'un an en France; toujours en attente d'une sortie dans les pays anglo-saxons, Angel constitue probablement l'échec le plus cuisant de la carrière de François Ozon. «Il y a probablement plusieurs facteurs qui expliquent l'échec d'Angel en France. J'ai d'abord l'impression que les gens ont été déstabilisés par le fait que ce film a été tourné en anglais. Même si les critiques ont été très favorables dans leur ensemble, il n'y a pas eu de désir de la part des spectateurs. Quant aux Anglais, s'ils ont envie de voir un film à costumes, ils n'ont pas besoin d'un Français pour ce faire. Ils n'ont qu'à ouvrir leur poste de télé!»

Ozon a par ailleurs tourné ce printemps un nouveau film, en français celui-là. Mettant en vedette Alexandra Lamy et Sergi Lopez, Ricky relate l'histoire d'un couple dont l'enfant possède des pouvoirs surnaturels. Il s'agit de la première incursion du réalisateur de Sitcom dans le genre fantastique. «Je n'aime pas me répéter», conclut-il.