Révélé grâce à Dobermann, Jan Kounen a aussi beaucoup travaillé dans le monde de la publicité. Forcément, l'adaptation cinématographique de 99F, le best-seller de Frédéric Beigbeder, est aussi empreint de son regard très aiguisé. La Presse a rencontré le cinéaste à Paris.

Q- Comment en êtes-vous venu à réaliser 99F?

R- On m'a d'abord fait lire un scénario. J'ai lu le roman ensuite. Je l'ai trouvé plus sombre, plus militant. C'est d'ailleurs à la lecture du bouquin que j'ai décidé de faire le film. Cela dit, j'étais quand même heureux d'avoir lu le scénario en premier car je n'aurais probablement pas su comment faire si j'avais fait l'inverse. Il y a des choses qui sont permises dans le cadre d'un jeu littéraire, qui ne le sont plus quand vient le moment de mettre le tout en images. Il fallait ainsi rendre «adaptable» cette oeuvre réputée «inadaptable». Il me semblait aussi important, tout en respectant l'esprit du livre, de garder une porte de sortie pour le spectateur. Je n'aurais pas accepté de réaliser le film si Frédéric Beigbeder ne m'avait pas laissé cet espace.

Q- Votre expérience dans le domaine de la publicité fut-elle utile?

R- Forcément. Dans la mesure où j'utilise ici le langage de la publicité et du cinéma pour mieux en démonter la mécanique. Je manipule le spectateur pour montrer la force de la manipulation. Je n'irais pas jusqu'à dire que ce film est une charge contre la publicité, mais il tend quand même à révéler l'intention qui est cachée derrière toute manipulation.

Q- De plus en plus, le cinéma semble être tributaire de la publicité. Que pensez-vous du phénomène de placement de produits?

R- C'est un phénomène très inquiétant, terrible même. Je dirais aussi que cette publicité déguisée peut tuer le cinéma. Quand les règles sont clairement établies, les spectateurs sont en mesure de faire la part des choses. Quand la pub est masquée, ce n'est plus le cas. À partir du moment où, de surcroît, celle-ci intervient directement dans le financement des films, il y a un grave problème à mon avis.

Q- Plusieurs acteurs ont été pressentis au fil des ans pour incarner Octave Parango. Pourquoi avoir fixé votre choix sur Jean Dujardin?

R- Parce qu'il fallait quelqu'un qui sait créer un courant empathique avec le spectateur, tout en se glissant dans la peau d'un personnage parfaitement détestable. Jean a cette qualité-là. Je craignais au début qu'il se retienne un peu trop, mais mes craintes se sont estompées très vite. Jean s'est complètement abandonné et il y est allé à fond. Pour ce film, il y avait déjà tellement de risques à prendre du côté du style, du ton, du genre et de la noirceur du propos, que de faire appel à quelqu'un comme Jean me rassurait. Du côté du personnage principal, je savais déjà que ça irait.

Q- Frédéric Beigbeder apparaît quelquefois dans le film. Vous avez pensé lui donner un vrai rôle?

R- Il aurait bien voulu! Frédéric s'est d'ailleurs montré un peu insistant, car il voulait absolument jouer un personnage dans le film. Comme je me méfiais un peu de ses talents d'acteur, j'ai préféré lui offrir une petite participation en forme de clin d'oeil. C'était plus prudent!