La liste des oeuvres de Francis Veber est tellement impressionnante qu'on se perd dans les titres et les dates. Selon sa propre estimation, il aurait touché à 61 films de long métrage depuis ses débuts en 1966 (il est né en 1937).

Mais à quel titre? Jusqu'en 1976, il se cantonnait dans le rôle de scénariste - pour des films à très grand succès comme Le grand blond avec une chaussure noire (1972). «Et puis, explique-t-il, en 1976, j'avais écrit le scénario du Jouet pour le producteur Claude Berri, qui me dit: pourquoi tu ne le réaliserais pas toi-même? Tu ne connais pas la technique? Aucun problème: on te fournit un assistant et ça ira Et c'est ainsi que je suis devenu réalisateur.»

Il a donc été scénariste pour d'autres, puis pour lui-même. Il lui est arrivé d'écrire le scénario de remakes américains pour certains de ses succès français. Il a même été épisodiquement réalisateur hollywoodien, d'autant plus naturellement qu'il passe six mois de l'année à Los Angeles, dont il adore le mode de vie, à écrire des histoires qu'il tournera en France. Mais sa carrière aux États-Unis a été de brève durée: «Je me croyais universel et international, explique-t-il, d'autant plus que j'avais passé six ans dans les studios comme conseiller aux scénarios. Mais en fait je me trompais! J'ai réalisé aux États-Unis un remake des Fugitifs, et je croyais avoir fait un film parfaitement américain. Résultat: le film a été un bide aux États-Unis, et n'a marché que dans les pays latins-européens. Comme si mes gènes français reprenaient toujours le dessus.»

Désormais, il se contente donc de vivre la moitié du temps sur la côte ouest, par plaisir - «et comme j'écris mes histoires dans une pièce fermée face à un mur, peu importe où je me trouve». Quand des Américains décident de faire une version de l'un de ses films, il garde éventuellement la haute main sur le scénario. L'emmerdeur - sa pièce présentée dans le cadre du Festival Juste pour rire au Monument-National jusqu'au 26 juillet - constitue une illustration ahurissante de cette carrière protéiforme. D'ailleurs, c'est aux studios Éclair à Épinay-sur-Seine que Francis Veber nous en parle: sur le plateau de L'emmerdeur, la version cinéma, avec Richard Berry et Patrick Timsit, qui sortira en France à la fin de l'année. Les mêmes acteurs qui ont triomphé pendant deux ans à Paris au théâtre dans L'emmerdeur!

Cette histoire - ou ce texte, comme on voudra - le poursuit depuis un peu plus de 35 ans. Au départ, il s'agissait d'une pièce de théâtre - car Veber a également écrit quatre pièces de théâtre. Dont un certain Dîner de cons.

C'était en 1971 et ça s'appelait Le contrat: «J'avais cette idée de faire se croiser dans une comédie un homme qui veut se tuer et un homme qui veut donner la mort. Brillante idée. À ce détail près: j'avais sur scène un décor unique, les deux personnages se retrouvaient dans la même chambre, et ça cassait toute la dynamique de l'intrigue.»

Un faux départ aussitôt oublié. En 1973, il rafistole l'histoire et signe le scénario du film que réalise Édouard Molinaro - avec Jacques Brel et Lino Ventura. «Le film était bien, dit-il aujourd'hui, mais ce n'était pas MON film, c'était celui de Molinaro.» Et la saga continue: fin des années 70, Hollywood a racheté les droits et confie la réalisation à nul autre que Billy Wilder. «Moi je faisais le scénario, raconte Francis Veber, mais bien sûr, Billy Wilder était le patron. D'ailleurs il m'a toujours dit: le scénariste, c'est celui qui courtise la femme, et le réalisateur c'est celui qui couche avec. Pour moi, c'était une légende vivante, un modèle. Ce fut son dernier film avant sa mort: il était raté et quand il sortit en 1981 (Buddy Buddy avec Lemmon et Matthau), ce fut un bide. Au téléphone avec Billy, lui avec son accent allemand, sa voix à la Himmler, et moi avec mon accent français, ce fut atroce: comment lui dire qu'il venait de faire un film raté?» Un quart de siècle plus tard, entre divers projets, Veber a l'idée de reprendre son histoire à zéro, mais pour le théâtre. Et c'est - bien entendu - un triomphe public. De quoi donner l'idée d'en faire une version cinématographique. Il l'avait fait en 1998, avec le Dîner de cons: le film tiré de la pièce frôla les 10 millions de spectateurs en France, et fut le plus gros succès de l'année.

«Un nouveau triomphe en perspective? Ça, je n'en sais strictement rien. Il m'est arrivé de faire des bides sans savoir pourquoi. Bon: il est clair qu'on m'attend au coin de la rue. Et que la critique me reprochera de me battre avec un souvenir, celui de Brel et Ventura. Mais ça, je m'en fous complètement. D'ailleurs en France, il est bien connu que les réalisateurs de comédie n'ont jamais bonne presse - sauf à la veille de leur mort, à 90 ans, bien entendu! Parfois j'en conçois un peu d'aigreur, d'autant plus qu'un auteur de comédies n'a évidemment pas le droit de faire des films sérieux ou dramatiques. La seule fois que Claude Zidi s'y est risqué, il avait trois spectateurs dans la salle. Moi j'en ai pris mon parti. Je me contente de faire rire les salles. Et ce n'est pas si facile que ça.»