Inspiré par Barcelone, Woody Allen retrouve sa belle forme en plongeant dans les jeux de l'amour et du hasard avec Vicky Cristina Barcelona, un film écrit spécifiquement pour Scarlett Johansson, Penélope Cruz et Javier Bardem.

Lors d'une conférence de presse tenue à Los Angeles le mois dernier, Woody Allen expliquait comment les femmes se trouvent désormais au centre de son inspiration et de sa démarche d'écriture.

«Cela est très curieux car quand j'ai commencé à écrire, il y a maintenant très longtemps, jamais n'aurais-je pu penser emprunter un autre point de vue que le mien, forcément masculin. Mais tout cela a changé le jour où j'ai rencontré Keaton (Diane). Nous étions alors en parfaite osmose. Et c'est à ce moment que, de plus en plus, je me suis mis à écrire pour des femmes. Que voulez-vous, je les aime! J'aime leur compagnie, j'aime leur façon de penser et d'agir. Dans tous les aspects de ma vie professionnelle, je suis entouré de femmes. Je trouve les hommes parfois intéressants aussi, mais il m'est maintenant moins naturel d'écrire pour eux. D'ailleurs, les actrices remarquables semblent être plus nombreuses. Le bassin est plus restreint du côté des acteurs.»

Diane Keaton, Mia Farrow ensuite, Scarlett Johansson aujourd'hui. Une différence notoire toutefois: contrairement aux deux premières muses, Scarlett n'entretient pas de liens sentimentaux avec Woody Allen. Plutôt des rapports d'amitié et de complicité professionnelle.

Cette dernière, après Match Point et Scoop, se retrouve devant la caméra de Woody Allen pour une troisième fois, dans une histoire au romantisme exacerbé dans laquelle sont impliquées Vicky (Rebecca Hall) et Cristina (Scarlett Johansson), deux touristes américaines en visite à Barcelone pour l'été.

Le jour où elles font la rencontre de Juan Antonio (Javier Bardem), un bel artiste qui les drague sans détour, les deux femmes sont engagées dans un tourbillon sentimental. Vicky, qui doit se marier très bientôt, renonce pourtant à l'aventure, tandis que Cristina se laisse prendre au jeu. L'histoire se complique quand l'ancienne amoureuse de Juan Antonio, Maria Elena (Penélope Cruz), revient dans le décor

Un aspect tragique

Bien évidemment, le caractère romantique et sensuel de la capitale catalane, jumelé à un épisode de «énage à trois», aura tôt fait d'alimenter les fantasmes. Allen se défend pourtant bien d'avoir voulu miser sur cet aspect des choses. «Malgré les apparences, ce récit est plutôt tragique! explique le célèbre auteur cinéaste. Par exemple, Maria Elena et Juan Antonio ne peuvent pas vivre ensemble, mais ils ne peuvent se passer l'un de l'autre non plus. Du côté des Américaines, Cristina est une éternelle insatisfaite pour laquelle aucune histoire d'amour ne pourra répondre à la vision idéalisée qu'elle a; et Vicky décide de se contenter d'un mariage sans éclat. Non vraiment, j'ai une vision plutôt pessimiste des relations amoureuses. Quand une vie de couple comble les besoins spécifiques de l'un et de l'autre, on peut parler, je crois, de chance totale. Ou alors d'un heureux accident. Mais une rencontre de ce type est très rare!»

Allen parle en tout cas d'un tournage heureux. Il est d'autant plus ravi que ce film n'avait pas encore révélé tous ses secrets pendant sa fabrication.

«Sur le plateau, j'ai demandé à Penélope et Javier d'improviser leurs scènes sans leur donner d'indications sur les moments où ils devaient passer de l'anglais à l'espagnol. Quand ils se mettaient à jouer dans leur langue, je ne pouvais pas comprendre un traître mot de ce qu'ils se disaient. Ce n'est qu'à mon retour à New York, alors qu'une traductrice a pu rédiger les sous-titres, que j'ai enfin pu découvrir leur travail de façon précise. Ce qu'ils ont fait est remarquable! Remarquez que je savais quand même à quoi m'attendre parce que Penélope et Javier sont des acteurs qui font leur travail très sérieusement. Quand les acteurs offrent d'excellentes performances dans mes films, c'est habituellement parce qu'ils sont déjà excellents au départ!»

Vicky Cristina Barcelona prend l'affiche le 19 septembre.

Les personnages

Scarlett Johansson est Cristina

Après avoir été séduite par Juan Antonio, Cristina se retrouve prise dans une aventure sentimentale marquée par la présence de l'ancienne amoureuse de son nouvel amant.

«C'est agréable de penser qu'un tel arrangement puisse se produire sans nécessairement tourner au désastre, observe la fiancée de l'acteur canadien Ryan Reynolds. Mais il s'agit d'une vision plutôt idyllique. Et Woody a su créer un climat propice pour exprimer la quête amoureuse des personnages. Cristina est une femme perpétuellement insatisfaite, qui estime que le sentiment amoureux ne peut être vrai que dans la mesure où il est complexe et déchirant. À mes yeux, son approche bouffe beaucoup trop d'énergie!»

Rebecca Hall est Vicky

L'actrice anglaise, qu'on a pu voir notamment dans The Prestige, prête ses traits à l'amie plus «raisonnable» de Cristina.

«J'avais déjà croisé Scarlett une journée sur le plateau de The Prestige mais là, nous avons eu l'occasion de développer une vraie complicité. Contrairement à ce qu'il a fait pour les trois autres, Woody n'a pas écrit le personnage de Vicky avec une actrice en tête. Nous ne nous connaissions pas du tout et je me suis présentée à une audition. Il faut croire que ce que j'ai fait lui a plu! De mon côté, je n'en reviens toujours pas qu'il m'ait choisie. Il s'est assuré que je puisse parler avec l'accent américain quand même!»

Penélope Cruz est Maria Elena

L'actrice madrilène offre sans contredit ici sa meilleure performance dans un film américain. Des rumeurs d'une possible nomination aux Oscars circulent depuis la présentation du film au Festival de Cannes.

«Au début, j'étais complètement perdue car Woody ne nous faisait pas répéter. Il fait simplement une mise en place avant de tourner et on y va. Je crois qu'il a pris cette décision pour mieux nous faire plonger dans l'histoire, et aussi pour nous faire oublier le fait que nous tournions une comédie. À mes yeux, Maria Elena est un personnage tragique. La douleur de cette femme est très vraie, très réelle. J'ai abordé ce personnage de façon très sérieuse. Quand j'ai vu le film à Cannes pour la première fois, j'ai été surprise de constater à quel point ce film est drôle!»

Javier Bardem est Juan Antonio

Lauréat d'un Oscar grâce à sa performance dans No Country for Old Men, l'acteur espagnol joue aujourd'hui avec l'archétype du séducteur latin

«Woody Allen est un génie. Il utilise les stéréotypes les plus énormes, les détourne et s'en amuse. Dans ce cas-ci, il va bien au-delà des clichés habituels liés aux séducteurs. Juan Antonio a de vraies fêlures, de vraies fragilités. De tous les personnages, il est probablement même le plus dépendant sur le plan affectif. Sous des allures confiantes se cache en fait un petit garçon»