Une grande ville dévastée par une épidémie de cécité. Des cortèges d'aveugles, mis en quarantaine et laissés à eux-mêmes, tentant de composer du mieux qu'ils peuvent avec leur infirmité subite, dans le chaos total.

Au-delà de cette ambiance apocalyptique, ce sont les nombreuses symboliques enfouies dans L'aveuglement (Blindness) qui ont d'abord séduit Fernando Meirelles, à la lecture du roman de José Saramago.

Meirelles, 52 ans, mis en nomination pour l'Oscar du meilleur réalisateur en 2004 pour La cité de Dieu, a lu deux fois l'ouvrage du Prix Nobel de littérature, après avoir été approché par le scénariste canadien Don McKellar. Une fois en anglais, une autre en portugais, travail d'autant plus difficile dans ce dernier cas qu'il s'agissait de vieux portugais. Meirelles a tout de suite vu l'invisible, si l'on peut dire, c'est-à-dire les multiples métaphores du récit.

 

«C'est d'abord et avant tout une histoire sur la nature humaine, ce que nous sommes, ce que nous avons besoin et comment l'homme, même après 6000 ans de civilisation, demeure très primitif», explique Meirelles, en entrevue au Soleil, à l'occasion du Festival international du film de Toronto, où L'aveuglement a connu son baptême nord-américain. Quatre mois plus tôt, le film avait eu l'honneur de faire l'ouverture du Festival de Cannes.

Frappés par la «cécité blanche», les personnages de L'aveuglement se retrouveront dans un hôpital désaffecté. Le groupe de rescapés réunis par le hasard sont tous atteints du mal, sauf une femme (Julianne Moore) qui prendra en charge son mari médecin (Mark Ruffalo).

C'est à elle que va aussi incomber la responsabilité de sauver de la déchéance ses congénères aveugles, d'organiser un semblant de vie quotidienne civilisée et de refréner les instincts primitifs de quelques leaders, dont un roi autoproclamé (Gael Garcia Bernal) prêt à toutes les exactions pour obtenir ce qu'il désire et asseoir son autorité.

«Il y a une mince ligne entre la civilisation et la barbarie, explique Meirelles. Nous vivons dans une société organisée, mais il suffit qu'une crise ou une catastrophe naturelle survienne pour que tout bascule dans le primitif. Le film raconte comment un groupe de personnes, livrées au chaos, apprennent à retrouver leur humanité en s'aidant mutuellement.»

Le refus de voir

L'interprétation allégorique de L'aveuglement peut aussi se faire à travers le refus de l'homme de voir ce qui se passe autour de lui. Meirelles fait sienne la citation en préface du livre de Saramago : «Si tu peux voir, regarde. Si tu peux regarder, observe.»

Un mendiant dans la rue, une femme ou un enfant victime de violence conjugale, la pauvreté galopante à travers le monde, même notre propre personne, autant de choses qu'on se refuse à voir. «Je ne crois pas que nous soyons devenus aveugles, dit d'ailleurs l'un des personnages du film. Je pense que nous l'avons toujours été. Des gens qui peuvent voir, mais ne voient pas...»

Le film se déroule dans une anonyme grande ville, impossible de savoir laquelle. Meirelles l'a voulu ainsi pour donner davantage de force au propos. «C'était très important, car c'est une histoire au sujet de l'humanité, non pas une histoire sur les États-Unis ou le Portugal. Il ne fallait pas que l'action se déroule dans un endroit spécifique qui n'est jamais nommé. Mais en réalité, le film a été tourné à São Paulo et Toronto, en plus de quelques scènes à Montevideo, en Uruguay.»

Meirelles s'est collé au roman de Saramago, surtout dans sa première partie, moins vers la fin, alors que le cortège d'aveugles tentent de retrouver leur demeure. Depuis sa première cannoise, le film a toutefois subi quelques réajustements, dont la quasi-disparition de la voix hors-champ de Danny Glover, le seul personnage du récit qui était aveugle avant le début de l'épidémie. «C'était en quelque sorte le regard de Saramago sur le film. L'histoire était racontée à partir de sa propre perspective. Je croyais avoir fait le bon choix, mais j'ai préféré donner moins d'importance au personnage.»

Une première comédie

L'aveuglement est le second long métrage que Meirelles réalise à partir d'un roman. En 2005, il avait porté à l'écran le livre de John LeCarré, La constance du jardinier, avec Ralph Fiennes et Rachel Weisz, couronnée pour son rôle de l'Oscar de la meilleure actrice de soutien.

Contrairement à ce qu'a déjà dit José Saramango, Meirelles ne croit pas que «le cinéma détruit l'imagination», bien au contraire. «Le cinéma montre un tas de choses que la littérature ne peut montrer. Quand vous lisez un livre, vous pouvez imaginer les personnages et le contexte, mais si un personnage est triste, par exemple, c'est plus facile de l'imaginer dans une scène, au cinéma.»

Après un film à la thématique aussi âpre, Meirelles compte se frotter à la comédie, une première dans son cas, avec l'adaptation de la pièce de Shakespeare Love's Labor's Lost (Peines d'amours perdues), qu'il compte tourner au Brésil. «Pendant que le drame se déroule sur la scène, en coulisses, c'est beaucoup plus drôle...»