Tourné au Liberia avec d'anciens enfants-soldats rejouant leur propre rôle, Johnny Mad Dog est un film-choc. Interdit aux moins de 18 ans... La Presse s'est entretenue avec Jean-Stéphane Sauvaire, le réalisateur du long métrage présenté ce soir à Vues d'Afrique.

Ils ont entre 12 et 15 ans. Nés avec la guerre civile au Liberia, ils ont été arrachés à leurs familles. Ils se sont battus. Et ils ont tué.

Pour Johnny Mad Dog, le cinéaste français Jean-Stéphane Sauvaire leur a demandé de rejouer leur propre rôle, avec toute l'extrême violence que cela impliquait.

Le résultat ne pouvait être que convaincant.

«Dès que je leur ai parlé du projet, ils m'ont dit qu'ils voulaient jouer dedans, raconte le réalisateur, joint par téléphone à Paris. Ce n'était pas mon idée de départ. Mais en fin de compte, je me suis dit qu'ils avaient raison. Que c'était un film qu'il fallait partager avec eux. J'avais l'expérience du cinéma et eux celle de la guerre.»

Cet authentique passé d'enfants-soldats n'explique pas à lui seul les étonnantes performances d'acteurs dans Johnny Mad Dog, dont celle de Christopher Minie dans le rôle-titre. Selon Jean-Stéphane Sauvaire, ces jeunes garçons ont appris leur rôle le plus sérieusement du monde, avec l'aide d'un «coach», et ce, pendant près d'un an.

C'était une mission délicate, le cinéaste en convient. Les premiers mois ont d'ailleurs été difficiles. Il a fallu encadrer, discipliner et créer un climat de confiance avec des adolescents habitués à vivre dans le chaos. Depuis la fin de la guerre en 2003, la plupart erraient dans les rues de la capitale Monrovia. Mais l'aspect ludique et exutoire du projet a fini par donner un sens à l'opération.

«C'était pour eux comme une thérapie, explique le cinéaste. Jouer la comédie leur a permis de parler de la violence brute qu'ils avaient vécue. Je pense que c'était important qu'ils évacuent leur traumatisme. À l'époque où ils vivaient toutes ces horreurs, ils le faisaient de façon inconsciente. Certains m'ont même dit que, d'une certaine façon, ils s'amusaient. Mais je pense que le film leur a permis de mesurer l'impact de leurs actions.»

D'argent et de bonnes intentions

Inspiré du film Johnny chien méchant, de l'écrivain congolais Emmanuel Dongala, Johnny Mad Dog raconte l'histoire d'une bande d'enfants-soldats aux looks apocalyptiques (l'un d'entre-eux porte même une robe de mariée) qui volent, violent, brûlent et tuent tout ce qui est sur leur passage. Regard froid comme une balle de kalachnikov, Johnny mène sa troupe de chiens fous vers l'horreur, en cherchant progressivement un sens à ses actes.

Ce film d'une violence inouïe, où les entrées d'air se font rares, aurait été difficile à réaliser sans l'aide de l'acteur Mathieu Kassovitz, qui a largement coproduit le long métrage. Comme le fait remarquer Jean-François Sauvaire, «il est toujours plus facile de financer un film africain quand on y parle de boubous et de folklore que quand on y parle de guerre».

Que Kassovitz s'associe au projet n'a pas seulement servi de caution, ajoute-t-il, mais aussi d'arme promotionnelle, puisque l'acteur est allé soutenir Johnny Mad Dog dans plusieurs médias, ainsi qu'aux festivals de Cannes, Deauville et Sundance.

Quant aux 15 comédiens du film, ils ne sont pas tout à fait retournés dans le caniveau. Rempli de bonnes intentions, Sauvaire a créé la Fondation Johnny Mad Dog (www.jmdfoundation.org), destinée à poursuivre le travail de rééducation entamé pendant la préparation du tournage. «Il y a quelqu'un là-bas qui s'occupe d'eux. On les nourrit, on les habille, on leur apprend à lire et à écrire.»

Aux dernières nouvelles, cette belle résolution n'était qu'un demi-succès. Plusieurs des ex-enfants-soldats étaient plus ou moins revenus à leurs anciennes habitudes, accusant même la fondation d'être encore plus dépourvue qu'avant le film.

Sauvaire, qui voudrait bien élargir le programme à d'autres anciens enfants-soldats, admet que la réinsertion sociale n'est pas chose facile, quand on jongle avec des passifs aussi lourds. «Ils ont été habitués à vivre dans l'immédiateté. Ils n'ont pas de projets d'avenir. C'est difficile de construire. Sont-ils récupérables? Je ne sais pas trop. Pour certains, c'est loin d'être gagné.»

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Johnny Mad Dog, ce soir 20 h 30 au Cinéma Beaubien.