Dans l’autobiographique J’ai tué ma mère, Xavier Dolan explore les douleurs d’un fils face à une mère que tout oppose à lui. Après Cannes, Xavier Dolan se prête avec plaisir au jeu des questions/réponses multiples. En face-à-face, il revient sur la genèse de son film, sa filiation avec deux films découverts après son premier film –Tarnation, de Jonathan Caouette, Les 400 Coups, de François Truffaut et son parcours, celui d’un enfant de la balle, certes, qui prend ses rêves à bras-le-corps.

La carrière de Xavier Dolan en vidéos

Q : J’ai tué ma mère est un film, qui, contrairement à ce que laisse entendre son titre, est une déclaration d’amour à la mère.

R : Tout à fait. Les gens pensent souvent à quelque chose d’extrêmement hargneux. Quelques fois la crudité s’exprime énormément, mais c’est un peu une lettre d’amour. C’est vraiment un film sur les contrastes : une mère quétaine, un fils plus artiste. Sur l’incompréhension, aussi, entre les gens, la différence qui les divise.

Q : À l’origine du film, était une nouvelle, Le Matricide. Comment s’est passé le passage de l’un à l’autre?

R : La nouvelle, c’est vraiment autre chose. C’est quelque chose d’extrêmement anecdotique, qui se passe en trois jours. C’est onirique : un homme très évaporé, très pris dans ses pensées, qui reçoit une visite du diable qui se manifeste sous la forme d’un gnome nu, qui lui ordonne de tuer sa mère. Il y a quelque chose de puéril et d’onirique à la nouvelle, que l’on retrouve moins dans le scénario, qui est plus réaliste, terre-à-terre, voire même parfois documentaire. En fait, j’ai fait la nouvelle à la fin de mon secondaire 5. J’avais été encouragé par une enseignante assez marginale, qui m’avait dit que la meilleure façon d’écrire des choses était d’écrire sur des choses qui nous sont chères, que l’on comprend. Comme j’étais au cœur de mon conflit freudien, j’ai été assez inspiré. J’ai écrit cette nouvelle et je l’ai mise au tiroir. Après avoir abandonné mes études collégiales, j’ai écrit un scénario en trois jours, un brouillon infâme, une esquisse très approximative. Et encore une fois, je l’ai remis au tiroir, j’ai défendu d’autres projets dont on m’a poliment dit qu’ils étaient trop denses, que les gens n’y croient pas. Est revenu ce J’ai tué ma mère personnel, dont je me disais qu’il ne plairait à personne parce que trop personnel, trop hermétique. Finalement, ça va. Suzanne Clément a été la première à l’avoir lu. Elle m’a dit que ça lui faisait penser à Heavenly Creatures de Peter Jackson. Je l’ai pris comme un compliment. Je ne la connaissais pas énormément à l’époque : elle m’a écrit un long dithyrambe. J’ai été très ému. Je l’ai parfait, dégrossi après ça, et j’ai entamé la recherche de producteur/distributeur.

Q : Dans J’ai tué ma mère, le principal personnage, Hubert Minel, est homosexuel. L’homosexualité est là, mais ce n’est pas l’objet du conflit, ni d’ailleurs du film…

R : Tout comme le fait que vous ayez des tâches de rousseur : c’est une partie de vous, mais on n’y accorde pas une importance grande. Pour moi, l’homosexualité est un peu plus substantiel qu’un trait de personnalité, mais cette façon de mettre (l’homosexualité) en exergue n’aide pas à progresser. Quand j’avais vu The Hours, les personnages sont tous homosexuels. Pourtant dans ce film on ne prononce jamais une fois le mot homosexuel. Je pense que je n’ai pas besoin de l’homosexualité pour que l’intrigue avance. Ce n’est pas ce qui est à la base du conflit mère-fils. Ce qui est à la base, c’est la brèche que l’on n’arrive pas à colmater, la différence, pas l’homosexualité. Elle est atmosphérique, circonstancielle.

Q : Vous avez tourné chez votre propre mère. Pourquoi?

R : Ma mère a très humblement et gentiment accepté de se prêter au jeu, on n’avait pas les moyens de construire un décor. J’y ajouté quelques éléments de décoration, mais aussi la chambre de Hubert. On a fait ça avec Anette Belley, on a construit de toutes pièces cette chambre, toujours avec l’esprit glauque des lieux. On voulait créer cette atmosphère, pour que le spectateur, comme le personnage, ait envie de la fuir. C’est très oppressant. On a presque envie de la fuir, l’air est tellement opaque. Pour que le personnage l’haïsse aussi, inconsciemment.

Q : Vous avez aussi acheté des costumes pour Le village des valeurs. Pourquoi avoir grossi le trait de caractère quétaine du personnage de la mère, interprété par Anne Dorval?

R : Parce que c’est qui elle est. C’est comme ça. C’est une femme qui est asservie par l’abondance d’information. Elle a besoin d’en mettre beaucoup. Le personnage est irrité par toutes ces surfaces, parce que ce sont des sursauts hormonaux. Il décrit le manque de goût, le manque de personnalité. Forcément quelque chose d’aussi physique qui peut créer une répulsion. Mais ce n’est pas aussi irréaliste et caricatural. Tous les goûts sont de toute façon dans la nature. Ce n’est pas au cœur du sujet : ça enjolive, ça étoffe.

Q : Le film comporte de nombreuses scènes explosives entre Anne Dorval et vous. À quel point le film est-il scénarisé?

R : Il l’est à 95%. Anne Dorval a improvisé une scène où l’on s’engueule. Je suis très ému par la polyvalence d’Anne Dorval. Elle a toujours été une grande actrice. Elle a en elle une tous les visages de tous les possibles. La pluralité d’un éventail. Son éventail est pluriel.

Q : Dans le film, vous citez Cohen, Musset. Le personnage d’Hubert reflète aussi votre goût pour les mots.


R : J’aime les mots. Vous savez, les adolescents ne sont pas qu’une bande d’ilotes affalés devant leur ordinateur même si c’est un peu ce qu’on voit dans la culture en général. Je ne viens pas d’un milieu de riches, j’ai vécu dans la classe moyenne, quand je suis arrivé au Cégep j’ai constaté cela. Je ne sais pas si c’est l’effet Pierre Lapointe, mais dans ma génération il y a une espèce d’efflorescence que l’on essaie de trouver le mot juste, on voit des films. Ma génération est fan de Requiem for a Dream. Elle a un goût plus prononcé pour la culture. Montréal a d’ailleurs l’un des mouvements de musique underground le plus gros au monde après le mouvement londonien. Le Québec est en instance d’explosion.

Q : Comment avez-vous découvert la poésie?

R : En cherchant sur Internet. Je cherchais à en savoir plus que ce que l’on voulait nous donner (…) N’importe quel jeune aujourd’hui a une soif et une curiosité qui transcende ce que l’on apprend à l’école. Quand j’ai laissé tomber les études collégiales, j’ai pensé que je deviendrais un crétin, looser, je ne voulais pas traîner la patte. J’ai ouvert un livre ou deux, j’ai voyagé je suis allé au théâtre. J’ai rencontré les bonnes personnes aussi. Je me suis intéressé à Cocteau parce que ce qu’il dit m’émeut. Cocteau a aussi dit : « l’enfance sait ce qu’elle veut, elle veut sortir de l’enfance ». C’est beau, cela me parle. Je le comprends. Je sais que certains écrivent que je parle en trou de cul de poule. J’ai toujours été comme ça : j’ai un père égyptien. J’ai jamais parlé en joual. Je peux sacrer, comme tout le monde. Ça dépend dans quel milieu je suis. On s’adapte aussi au milieu dans lequel on est. Je parle comme je parle.

Q : Vous avez commencé très jeune sur les plateaux de tournage, entouré d’adultes. Cela vous a-t-il aussi influencé?

R : Quand j’étais petit, je faisais les publicités Jean Coutu. Voilà qui ponctuait vraiment une année pour moi. J’en tournais quatre par année, j’en ai fait 21. Tu es sur un plateau, entouré de gens qui ne vous infantilisent pas vraiment. J’ai donc été confronté à un climat d’adulte, un peu atypique pour un enfant. Cela m’a fait prendre un coup de maturité en deux coups de cuillère à pot. Cela m’a nuit aussi parfois. J’ai développé toutes sortes de tares connexes.

Q : Roger Cantin vous décrit, enfant, comme quelqu’un qui parlait beaucoup…


R : Très loquace, très énervant. Très chiant. Peut-être pas prétentieux, mais vraiment un déficit d’attention majeur. Je pense que j’ai changé. Un peu. J’espère. C’est très étrange cette atmosphère de plateau. Ça avait été assez révélateur. Je peux vous dire ce qui m’a marqué : tourner avec André Mélançon pour les publicités Jean Coutu. J’ai toujours eu un caractère assez bouillonnant. Et j’ai toujours été assez lucide par rapport à cela. Dans des accès de culpabilité, j’allais m’excuser auprès des gens. Après chaque tournage, André Mélançon me disait : « C’était bien, mais il y a place à amélioration ». Ça, c’est quelque chose qu’il m’a appris. J’étais content qu’il me le dise. J’ai souvent été traité comme un adulte étant enfant. Parfois douloureusement pour l’égo l’âge et l’esprit de l’enfant. Finalement, maintenant, j’en suis reconnaissant.

Q : Aujourd’hui, après avoir produit votre premier film, suivre les ventes dans 15 territoires, a-t-il fait de vous un homme d’affaires?

R : (Rires). C’est de l’improvisation. Quand les institutions ont dit non, j’ai refusé d’attendre six ans, je ne voulais pas que mon projet perde sa saveur, sa fraîcheur. C’est comme ça que je me suis improvisé : j’étais entouré de gens comme ma productrice déléguée, Carole Mondello, ou de Daniel Morin, de Boréal Films. Ils géraient tout l’aspect administratif. Une fois rendu à Cannes, j’ai un petit côté Picsou qui s’est manifesté. Ce n’est pas du mercantilisme, c’est circonstanciel, mais c’est la possibilité d’investir dans d’autres projets. C’est l’aspect businessman, pas si présent que cela.

Q : Tout s’est déroulé très vite : entre le tournage, le montage, la sortie. Une urgence, finalement, pour ensuite aller vers des zones moins autobiographiques ?


R : Je vais vers un futur plus fictif, un futur de création. Souvent dans les premières œuvres, on sent la proximité avec le vécu du narrateur, du scénariste. Regarde My life as a dog de Lasse Hallström. Je crois que c’est le genre de films qu’on fait quand on a besoin d’évacuer des choses. De se libérer d’une certaine émotivité. Je l’ai fait sans être conscient de ce mécanisme. J’avais besoin de le faire. Là je me rends compte dans la préparation de mon deuxième long que c’est purement fictif.

Q : Ce deuxième long-métrage, Lawrence Anyways, devrait se tourner rapidement. Vous allez à nouveau remettre tous les chapeaux, production, réalisation, scénarisation?

R : Ma productrice, c’est Lyse Lafontaine (Équinoxe Films). Il est possible que j’investisse dedans, mais je ne le produirai pas. Je ne peux pas encore parler de mon co-producteur français, mais ce sera un gros. Ce qui est génial, c’est que Cannes est un gros moteur à propulsion. Dans le maelstrom dans lequel on est happés, il y a un lot assez formidable de rencontres. Toutes ces rencontres précipitent le cours des choses, permettent d’échapper à un système de financement québécois un peu obsolète, qui tient la créativité en laisse.

Q : On a beaucoup parlé de votre jeune âge, du parcours déjà accompli. Les adultes qui vous fréquentent vous ont décrit de déterminé, qui fonce. Vous reconnaissez-vous là-dedans?

R : On a juste une vie. En ce qui me concerne, elle n’est pas devant moi mais derrière moi. Quand on dit que l’on a la vie devant soi, on s’assoit sur cet axiome-là. Je ne sais pas ce qui s’en vient. Tout pourrait s’arrêter tellement rapidement! Moi ça me fait peur. J’ai envie de vivre. Le vent se lève! Il faut y aller. Maintenant!