Le journaliste américain Matt Tyrnauer a filmé pendant deux ans l’un des derniers grands de la haute-couture, Valentino. Le couturier se révèle dans son palais romain, sa résidence d’hiver à Gstaad ou son modeste château français. Entre exubérance et humanité, le documentaire montre un créateur dans sa relation avec son partenaire dans la vie et dans les affaires, au cours  des derniers mois de son règne.

Q : Vous n’êtes pas un journaliste spécialisé en mode, et vous signez avec Valentino, The Last Emperor, un documentaire sur l’un des plus grands couturiers italiens. Comment est née cette envie?

Matt Tyrnauer : Je voulais écrire sur lui, dans Vanity Fair mais j’ai été si impressionné par sa relation avec son partenaire, dans la vie et dans les affaires, Giancarlo Giammetti, que j’ai décidé de continuer. Personne ne connaissait vraiment cette relation et c’est ce qui m’a donné envie de faire un film. Je voulais montrer à quel point Giancarlo Giammetti fait tout pour garder Valentino dans son monde de luxe un peu absurde.

Q : Vous avez commencé à filmer sans scénario, pendant près de deux ans. La période s’avère cruciale puisque Valentino annonce peu de temps après son dernier défilé qu’il prend sa retraite. Vous l’aviez anticipé?

En effet, je me suis retrouvé avec 275 heures de film! À la fin de la première année de tournage, il y avait des rumeurs sur le départ de Valentino. Nous sommes restés une année de plus. Personne ne savait quelles étaient ses intentions, car il était assez ambivalent là-dessus. Mais comme je voulais vraiment faire un film sur ces deux hommes, j’ai décidé de me concentrer là-dessus et de laisser ce qui aurait pu être intéressant, mais n’entrait pas dans cette ligne.

Q : Pourquoi avez-vous intitulé votre film The Last Emperor?

Valentino est vraiment le dernier des couturiers qui a appris cet art dans les années 50, avec des gens qui l’avaient eux-mêmes appris dans les années 30. La haute-couture est si spécialisée, concerne si peu de gens qu’aujourd’hui elle apparaît un peu comme un anachronisme. Valentino, avec Karl Lagerfeld (Chanel) a continué à travailler cet art mais il était alors le seul à être resté à la tête de sa compagnie. Il est aussi le couturier qui a duré le plus longtemps (1959-2008). Mais à voir la façon dont sont fabriqués les vêtements de haute-couture fait aussi réaliser à quel point c’est un art unique.

Q : En voyant Valentino et Giammetti, mais aussi le rachat de leur maison, on pense beaucoup à un autre couple emblématique de la haute-couture, Pierre Bergé et Yves Saint Laurent. Avez-vous aussi fait ce parallèle?

C’est fascinant que ces deux couples aient existé sur des routes parallèles, aux mêmes moments. Saint Laurent comme Valentino étaient deux créateurs protégés par leur partenaire, avec qui ils ont une relation très précieuse. Comme Saint Laurent avec Pierre Bergé, il ne pourrait exister Valentino sans Giammetti. En même temps, Saint Laurent et Valentino ont aussi des personnalités très différentes.

Q : Dans le film, vous avez laissé plusieurs passages au cours desquels vous filmez des échanges acerbes entre Valentino et son partenaire. Il vous demande même de cesser de filmer, mais vous continuez…Comment cela se passait?


Il fallait être conscient que Valentino est quelqu’un de très difficile : il quittait le film tous les jours et se réembauchait le lendemain. Ces scènes le montrent aussi comme un être humain, c’est pourquoi j’ai décidé de les garder dans mon film. J’ai eu, de plus, le mot final concernant le montage.

Q : En étant dans le quotidien de Valentino, vous donnez aussi accès à un monde qui, par ses excès, prête beaucoup à la caricature.

La mode et la haute-couture sont un monde étrange, dans lequel personne ne sait que c’est bizarre. Valentino lui-même ne sait pas qu’il est coupé de la réalité.

Q : Vous faites référence à Marcello Mastroianni et utilisez la bande sonore de 81/2. Pourquoi?


J’ai trouvé beaucoup de parallèles entre mon film et 81/2. Déjà, par leurs personnages: tous deux sont des films sur les processus créatifs et les difficultés. Giancarlo Giammetti me rappelle Guido (le personnage principal, interprété par Mastroianni) : il essaie de tout faire autour de la fête qui doit être organisée pour Valentino, tous les personnages importants de la vie de Valentino reviennent à ce moment-là. Évidemment, Giammetti et Valentino se sont rencontrés au moment de la «Dolce Vita» italienne, au Café de Paris, Via Veneto. Cela ressemble beaucoup à l’atmosphère du film.

Q : Comment ont réagi Giammetti et Valentino en voyant le film?

Ils ne l’ont vraiment pas aimé. Ce n’était pas ce à quoi ils s’attendaient: je ne crois pas qu’ils aient trouvé très approprié de montrer leur relation, ils pensaient que j’allais plus m’attacher au glamour. Mais je voulais que le film soit sur la relation! Nous avons eu une grosse dispute, mais quand ils l’ont vu à Venise et que tout le monde l’a applaudi, cela les a apaisés. Je crois que Valentino aime qu’on le voit sous cet angle plus humain (…) Vous ne pouvez gagner face à lui, dans une dispute, de toute façon. Pour faire passer la chose, il faut sans cesse revenir à lui et insister. Éventuellement, cela peut finir par marcher.