D'un orphelinat du centre de la France à ses débuts de modiste à Paris, Coco avant Chanel raconte le parcours initiatique de celle qui deviendra plus tard l'incarnation de la femme moderne.

Le rôle semble aller comme un gant - ou comme un tailleur Chanel - à l'actrice Audrey Tautou. On le lui a d'ailleurs offert plus d'une fois, révèle la réalisatrice du film, Anne Fontaine.

Q : Anne Fontaine, d'où vous est d'abord venu le goût de faire ce film?

R : J'ai eu la chance, à 20 ans, de rencontrer Lilou Marquand, l'assistante et l'amie intime de Chanel pendant les 15 dernières années de sa vie. C'est comme ça que j'ai découvert le vrai personnage, pas la Chanel des tailleurs. J'ai lu au même moment le livre de Paul Morand, L'allure de Chanel, qui est un livre merveilleux, une biographie tout à fait inhabituelle, écrite à la première personne. Avec son caractère, sa personnalité, je trouvais que c'était une héroïne de roman. Et ensuite, bien plus tard, quand on m'a proposé l'idée de faire un film, je sentais que c'était possible pour moi parce que je la connaissais bien déjà.

Q : Est-ce que l'esprit de Coco Chanel vous a guidée dans la conception même du film?

R : Complètement. Non seulement dans tous les choix esthétiques, mais dans la façon de filmer, parce que Chanel, au cours de ces années-là, se livre à une sorte d'autoéducation par le regard. Pour moi, le film ne pouvait avoir que le style Chanel, le style de quel-qu'un qui a enlevé des choses plutôt que de les rajouter. Il fallait qu'il y ait une forme de simplicité, de beauté aussi. J'ai filmé à travers sa perception, à travers elle, quoi.

Q : Ça se sent très bien en effet...

R : Oui. J'ai dû bien sûr imaginer des choses parce que dans les biographies classiques, la jeunesse n'est pas tellement développée. Comme elle a vécu 87 ans, forcément, tout est un peu rapidement traité.

Q : On sent de l'innocence dans le regard que Coco pose sur le monde, sur les soeurs de l'orphelinat, sur les invitées de Balsan, sur les dames au champ de course, sur les promeneuses à Deauville. Ce sont des scènes par ailleurs remplies de musique. Est-ce que cette innocence correspond vraiment au personnage de Coco?

R : Je dirais plutôt que c'est de l'intensité. Au départ, c'est quasiment une petite paysanne mal dégrossie. Petit à petit, elle se sophistique. Elle disait toujours qu'elle ne savait pas ce qu'elle voulait, mais qu'elle savait très bien ce qu'elle ne voulait pas. Elle avait aussi une énergie tendue. Les gens me disent qu'elle a un regard anxieux, que ce n'est pas du tout naïf. Audrey Tautou le joue comme ça, avec une sorte de fébrilité intérieure, puisqu'elle ne sait pas quel destin elle va avoir.

Q : C'est peut-être la musique qui fait prendre tout cela pour une sorte d'innocence...

R : Non, mais vous n'avez pas tort non plus. Elle n'est pas calculatrice, mais c'est tout de même quelqu'un d'ambitieux. Ce n'est pas quelqu'un qui se laisse couler.

Q : Apparemment, vous auriez pu être beaucoup plus hard - c'est le mot employé par la presse en France - dans votre façon de raconter le personnage. Vous auriez pu faire un film beaucoup plus provocant. Si c'est le cas, qu'est-ce qui vous a retenue?

R : Il y a des phases plus tardives de sa vie qui sont beaucoup plus dures. Mais celle que je traite est une phase où elle est un peu suspendue, où elle ne sait pas ce qui va lui arriver. Chanel est déterminée, mais elle n'est pas agressive. Je n'allais pas faire quelque chose de faux, au sens de la dramaturgie, uniquement pour essayer de choquer. Au moment où je la traite, elle est dans un état de grande difficulté, elle vit une tragédie sous-jacente, et en même temps, elle essaie d'inventer sa vie devant nos yeux, de trouver son style. Ce qu'elle va découvrir, c'est quand même la genèse de toute sa création.

Q : Vous avez choisi d'illustrer la vie de Chanel avant la célébrité. Mais la suite serait également passionnante...

R : Bien sûr. Mais ça risque d'être un très mauvais film. Picasso, Cocteau, Misia Sert... Vous voyez d'ici le côté name dropping de l'affiche. La personne qui va y aller, je lui souhaite bon courage. D'abord parce qu'elle n'aura plus de liberté parce qu'elle aura la maison Chanel sur son dos...

Q : Pourquoi donc?

R : Parce qu'après, il y a les marques, ne serait-ce que le parfum qu'elle a inventé. Alors que, sur la genèse du personnage, vous êtes libre. Personne ne peut vous dire : «Voilà, vous dépendez d'une marque». Ce que j'aime, c'est justement le fait d'être à la naissance de la personnalité, quand il n'y a pas de gens connus. On ne peut pas faire un film générique sur toute sa vie. Les gens qui ont essayé se sont tous cassé la gueule. Ils ont même été voir Audrey Tautou et elle a dit tout de suite non parce qu'elle a vu que c'était une sorte de bouillie, justement. Il y avait Cocteau, et puis Chanel rencontrait Picasso, et après il y avait «Machin». Artistiquement, c'est une mauvaise façon de procéder. Par contre, je pense qu'il y a des parties intéressantes à faire sur sa vie, mais il faut les circonscrire. On peut faire ses dernières années, c'est très intéressant, et là, ça sera très dur.

Q : La tenue que porte Audrey Tautou, dans la scène du bal costumé, rappelle beaucoup Michael Jackson...

R : Ah ouais! C'est marrant!

Q : C'est volontaire?

R : Non. Je ne pense pas à Michael Jackson quand je fais un film sur Chanel. Mais je trouve ça drôle, votre comparaison. En fait, je me suis inspirée directement d'une photo de Chanel prise lors d'un bal costumé chez Étienne Balsan. Elle est exactement habillée comme ça. Je le dirai à Audrey Tautou. Ça lui fera plaisir!