Plongée en apnée dans les recoins les plus sombres de l’âme humaine, Antichrist est un cri de douleur lâché par un créateur malade, Lars Von Trier. De passage au Festival de Toronto, Willem Dafoe défendait avec intelligence cette œuvre aussi brillante que dérangeante.

Quelques minutes à peine après que son film eut été accueilli par des sifflets et des huées lors de la toute première projection destinée aux journalistes à Cannes, Lars Von Trier s’est prêté à l’exercice de la conférence de presse.

D’entrée de jeu, un scribe britannique emprunte un ton belliqueux et somme le cinéaste de se « justifier ». Ce que Von Trier n’a pas fait, bien sûr, teintant plutôt d’ironie ses déclarations fracassantes – « je suis le meilleur réalisateur du monde » – et répondant à l’agression par l’agression.

« Je me souviens très bien de ce moment, rappelait quelques mois plus tard Willem Dafoe au cours d’une entrevue réalisée au Festival de Toronto. Mon soutien pour Lars était entier. Ce film lui est très personnel. Il y a mis beaucoup de lui-même. D’une certaine façon, je me suis senti très protecteur. J’ai trouvé élégante la façon avec laquelle il a accueilli les journalistes en qualité d’" invités ". C’était très habile de sa part. »

En quelques heures à peine, Antichrist avait déjà obtenu son statut de film-scandale. Repoussant les limites de la provocation, se réclamant à la fois de Tarkovski et de Strinberg, Von Trier relate dans son brûlot la descente aux enfers d’un couple après la mort accidentelle d’un enfant.

Le mari (Dafoe) est thérapeute. Et tente d’accompagner dans sa douleur sa femme (Charlotte Gainsbourg), en qui le deuil éveille des pulsions sexuelles morbides liées à un sentiment de culpabilité. Mutilations génitales, violences en tous genres et humour sombre figurent au menu de ce film brillant, mais vraiment peu « aimable ». Antichrist fut très contesté, voire violemment rejeté parfois, mais le courage des deux interprètes principaux a en revanche été unanimement salué. Le prix d’interprétation, attribué à Charlotte Gainsbourg, relevait de l’évidence.

« Je ne sais pas vraiment ce qu’est la notion de « courage » dans un contexte de jeu, déclare Willem Dafoe. Mais j’aime cette idée. On évoque souvent cela quand il y a des scènes de nudité de nature sexuelle, mais cela n’a rien à voir. Le courage évoque plutôt à mon sens la confiance qu’on accorde à un cinéaste. Avec Lars, spécialement sur ce film, il y a eu beaucoup d’improvisation. La caméra était libre et les éclairages souvent peu flatteurs. J’aime la transformation, c’est ce qui m’intéresse. Étant plus naturellement attiré vers le cinéma de création, je n’ai pas vraiment l’impression de faire preuve de courage. En revanche, je regardais travailler Charlotte, la façon avec laquelle elle plongeait à corps perdu dans le personnage, sans filet, en prenant tous les risques, et je comprends maintenant pourquoi les gens évoquent cette notion. Comme je servais de miroir à Charlotte, je présume que cela s’applique à moi aussi ! »

Un accouchement douloureux

Tout est parti d’un simple coup de fil qu’a donné l’acteur au cinéaste afin de prendre de ses nouvelles, ce dernier étant alors au beau milieu d’une grave dépression nerveuse. « Lars m’a alors fait parvenir son scénario sans dessein particulier, sa volonté étant de faire appel à un acteur non professionnel ou à un acteur beaucoup plus jeune, explique Dafoe. J’ai été tellement chamboulé par ce scénario, et ma réaction fut si forte, que Lars a alors envisagé de m’offrir le rôle. Il m’a constamment demandé si j’étais bien certain de vouloir m’embarquer là-dedans. Je ne demandais pas mieux. Les films avec du contenu, faisant écho à des préoccupations adultes, ne sont pas légion. Aussi, la forme du film était déjà très visible à la lecture. Et me séduisait beaucoup. »

Lars Von Trier l’a déclaré lui-même, Antichrist est né d’un esprit malade. L’accouchement fut douloureux.

« Lars ne discute pas beaucoup de contenu, soutient l’acteur. Nous nous sommes finalement peu parlé du film. Il préfère obtenir ce qu’il veut en évoquant un détail, en nous menant là où il veut aller. Pendant le tournage, j’étais toujours inquiet. J’avais peur qu’il ne parvienne pas à finir son film. Il était encore très fragile. »

Au cours des dernières années, Willem Dafoe a prêté son talent à de grandes productions hollywoodiennes (dont Spider-Man 3) mais a aussi souvent trouvé refuge chez les auteurs, dont plusieurs européens. Après Angelopoulos (The Dust of Time), Von Trier (Manderlay, Antichrist) et Carion (participation dans L’affaire Farewell), l’acteur sera vu dans le prochain Herzog (My Son, My Son What Have We Done) et, en principe, dans le prochain Wenders (The Miso Soup).

« Je suis plus naturellement attiré vers les auteurs, car ils produisent un cinéma plus personnel. Dans ce genre de film, les acteurs sont habituellement appelés à prendre part au processus créatif aussi, contrairement à des productions où tout est établi d’avance. On valorise trop les messages bien définis dans le cinéma parce que les films coûtent cher à produire. On veut savoir d’avance de quoi il s’agit afin de mieux les vendre. On ne veut plus de mystère. Tous les films qui n’entrent pas dans cette case sont en danger. Mais ce sont eux que je préfère. »

Aussi évoque-t-il ici le sentiment ressenti après avoir tourné Antichrist.
« La toute première fois que nous avons vu un assemblage du film, Charlotte et moi, nous nous sommes regardés et nous avons échangé un seul mot : " étrange " ! Pour nous, le sens était positif. »

Antichrist prend l’affiche le 13 novembre.