Costa-Gavras filme toujours pour raconter le monde. À Cinémania, le célèbre cinéaste débarque avec son nouveau film sur l'immigration, Éden à l'ouest, et participe à une classe de maître à l'occasion du 40e anniversaire de Z.

Même s'il a plus de 40 ans de cinéma derrière lui, Constantin Costa-Gavras estime qu'il n'avait sans doute jamais encore fait un film aussi personnel qu'Éden à l'ouest, un film sur l'immigration, toujours sans distributeur au Québec. Plus de cinq décennies après avoir lui-même quitté sa Grèce natale pour aller s'installer à Paris, l'auteur cinéaste s'attarde à décrire dans son nouveau film l'odyssée d'un jeune étranger.

«Même si le récit n'a rien d'autobiographique, je me reconnais tout de même dans ce personnage, expliqué hier le réalisateur du Couperet au cours d'une entrevue accordée à La Presse dès son arrivée en nos terres. À l'époque où j'ai émigré, les circonstances étaient totalement différentes. J'ai pu gagner la France au lendemain de la guerre civile chez nous, travailler et faire des études en même temps. C'était une période d'effervescence, de liberté totale. La vision de l'avenir était très optimiste et nous étions convaincus de la possibilité d'un monde meilleur. Aujourd'hui, les jeunes ne peuvent malheureusement pas en dire autant.»

Les difficultés auxquelles doivent faire face les immigrants n'étant plus du tout de même nature à notre époque, Costa-Gavras a ressenti le besoin de faire écho au drame que vit l'étranger, mal accueilli dans ce qu'il espère être une terre d'asile. Plusieurs films français récents abordent cette thématique, notamment Welcome, un film de Philippe Lioret (aussi présenté à Cinémania).

Cette convergence n'étonne guère le cinéaste, dans la mesure où la situation est préoccupante.

«En Europe, le problème est particulièrement criant, précise-t-il. Des immigrants sans papiers arrivent de partout, quittent tout avec l'espoir au coeur, et se font accueillir comme des parias. Or, les immigrés font aussi le pays. À quelques exceptions près, ce sont souvent des gens très bien, qui ne demandent pas mieux que de s'intégrer. J'ai voulu aborder cette thématique sans faire de drame, en exposant le côté solaire du personnage auquel je m'attarde. Ce film est aussi un portrait de nous. Avec nos petites intolérances quotidiennes.»

Incarné par l'acteur italien Riccardo Scarmacio, révélé grâce à Nos meilleures années et Romanzo Criminale, le héros d'Éden à l'ouest, prénommé Elias, franchit un parcours semé d'embûches. Sa belle gueule lui permet toutefois d'attirer la sympathie de quelques hôtes.

«C'est aussi une façon de montrer à quel point notre acceptation de l'étranger relève de critères complètement arbitraires. Si Elias avait eu une sale tête, il est certain que son périple serait encore plus difficile.»

Citoyen français, Parisien depuis plus de 50 ans, Costa-Gavras comprend bien la question d'identité. Laquelle relève d'un état d'esprit plutôt que d'une affaire de registres officiels.

«L'intégration d'un immigrant passe beaucoup par le regard de l'autre. Je ne me sens français que si vous, de votre côté, me sentez français. Celui qui vient de l'étranger cherche cette confirmation dans votre regard.»

Z a 40 ans!

Ayant toujours placé les questions politiques et sociales au coeur de sa démarche, Costa-Gavras a établi sa réputation il y a 40 ans. Avec Z, un film lauréat de l'Oscar du meilleur film étranger, il dénonçait les abus de pouvoir de façon éclatante. Le monde a bien changé depuis, mais l'envie de résister face à l'injustice reste toujours aussi puissante, aussi essentielle.

«Z appartient évidemment à une autre époque, rappelle le cinéaste. Mais de constater que le film existe encore aujourd'hui, et qu'il s'inscrit dans la mémoire des gens me ravit. À l'occasion de cet anniversaire, Z est sorti de nouveau aux États-Unis et m'a valu de nouvelles critiques, fort belles d'ailleurs!

«En 1969, poursuit Costa-Gavras, le succès mondial nous avait beaucoup étonnés, d'autant que personne ne voulait produire ce film. J'ai hâte de voir comment les spectateurs de Cinémania réagiront. Je serai là pour les écouter, répondre à leurs questions. Ce sera plus un échange qu'une classe de maître. À vrai dire, je n'aime pas tellement le mot maître!»

Depuis Compartiments tueurs, son premier long métrage, jusqu'à ce récent Éden à l'ouest (choisi pour clôturer le Festival de Berlin l'hiver dernier), Costa-Gavras poursuit sa démarche en visant l'universel. Le cinéma s'étant par ailleurs profondément transformé sur le plan de la diffusion, le réalisateur y trouve à la fois motivation et source de préoccupation.

«Nous devons désormais transiger avec une nouvelle forme de censure, de nature économique celle-là. Tout change tellement rapidement que personne ne sait vraiment vers quoi se dirige cette évolution. Avec tous les nouveaux supports de diffusion, la vision d'un film a perdu son caractère événementiel. L'aura mythique dont bénéficiait une oeuvre cinématographique a disparu. On peut maintenant visionner un film sur un téléphone, ce qui est absurde! En revanche, l'arrivée du numérique a provoqué une révolution dont on ne peut encore mesurer l'impact. Mais c'est énorme. Chaque fois qu'arrive une nouvelle technologie, l'esthétique du cinéma change. J'espère simplement que les spectateurs porteront toujours intérêt - et respect - à nos oeuvres.»

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Eden à l'ouest: jeudi 12 novembre 19 h; vendredi 16 h 30 au Cinéma Impérial. Z: samedi 14 novembre 13 h au Cinéma Impérial (suivi d'une classe de maître).