La forme est différente, mais le fond reste le même. En s'attardant à l'histoire du groupe Manouchian, résistants juifs communistes et étrangers fusillés par les nazis, le cinéaste Robert Guédiguian évoque aussi la France d'aujourd'hui.

«Les raisons de s'engager existent toujours, expliquait récemment le cinéaste à La Presse au cours d'un entretien téléphonique. Mais les propositions d'engagement n'existent plus. Il est bon de rappeler qu'on peut aussi s'engager pour des causes morales, non politiques. À mon sens, il est impossible de vivre heureux si l'on ne vit que pour soi. Il faut vivre pour les autres en même temps. L'engagement est un mode de vie. Dans mon cinéma, il est là depuis toujours.»

L'armée du crime (maintenant à l'affiche) décrit les actions, dans la France occupée, du groupe Manouchian, un petit mouvement formé d'individus, étrangers et juifs communistes, associés pour résister aux nazis. Et défendre la France. Auprès des nouvelles générations, leur histoire reste inconnue. Pour Guédiguian, Arménien d'origine né d'une mère allemande, ces gens sont des héros d'enfance.

«Je connaissais bien l'histoire de ces résistants, souligne l'auteur cinéaste. J'ai toujours voulu leur ressembler. En fait, leur histoire était régulièrement célébrée, mais depuis que la gauche est pratiquement disparue, elle n'est plus évoquée.»

Un peu comme l'a fait Rachid Bouchareb avec Indigènes, Guédiguian estime qu'il est important de mettre de l'avant les histoires de la France plurielle, à une époque où les questions liées à l'identité nationale sont épineuses.

«C'est aussi pour cela que j'ai voulu faire ce film. Il est bon de rappeler que ces résistants étaient tous des étrangers et des sans papiers. Ce sont eux qui, les premiers, ont défendu la France des droits de l'Homme en payant le prix de leurs vies. Une façon de combattre le discours intolérant. Dans toute l'histoire de l'humanité, il n'est jamais rien sorti de positif d'une société qui marginalise les étrangers. C'est une règle universelle!»

Un devoir de mémoire 

Manouchian étant un résistant communiste, Guédiguian dit être confiant à propos de la pertinence du message, malgré la déroute de la gauche, malgré les horreurs et les tragédies associées aux régimes dictatoriaux se réclamant de la même idéologie.

«Les valeurs montrées dans le film - la capacité d'indignation, la soif de justice sociale, le respect de la vie humaine - étaient à l'époque incarnées par le mouvement communiste international, précise l'auteur cinéaste. Les héros de cette histoire, tous très jeunes, se sont d'abord engagés sur le plan individuel avant de se regrouper, parce qu'ils étaient animés d'un sens absolu du refus. Leur prise de position relevait de la plus haute dignité. Je crois que les jeunes d'aujourd'hui peuvent très bien souscrire à ces valeurs humanistes. Si l'histoire de Manouchian peut conscientiser les jeunes et les mobiliser, tant mieux.»

Les valeurs néolibérales ayant triomphé dans pratiquement toutes les sociétés de la planète, Guédiguian ne baisse pas les bras.

«Comme tout le monde, je me suis réjoui le jour où le mur de Berlin de tombé. Force est toutefois de constater que cette chute a entraîné la disparition des mouvements de gauche partout dans le monde. Et ça, je le regrette. Cela dit, je ne crois pas que le rêve d'une société plus juste, plus équitable soit perdu à jamais. Cette idéologie doit survivre. Et repartir sur de nouvelles bases.»

Cinéma et devoir de mémoire

Pour ce faire, Guédiguian estime essentiel ce devoir de mémoire. À cet égard, le cinéma constitue une façon de ramener à la surface des épisodes historiques oubliés.

«Je ne crois pas que le cinéma puisse se substituer aux historiens, affirme pourtant le cinéaste, lui-même historien de formation. Les films, quand ils sont faits sérieusement, deviennent en revanche de nouvelles archives, de la documentation en plus. Mes anciens profs, avec qui j'adore débattre, me disent qu'un film comme Le promeneur du Champ de Mars fait désormais partie des archives participant à une meilleure compréhension du personnage historique qu'était François Mitterand.»

Regrettant l'emprise du cinéma de divertissement sur le cinéma à contenu, Robert Guédiguian persiste et signe.

«Cela m'inquiète. Dans la mesure où cette culture de masse contribue aussi à la démobilisation générale. On associe les films à contenu à du cinéma ennuyeux. Rien n'est plus faux. La réflexion est l'une des plus belles choses qui soit.»

Le cinéaste compte par ailleurs retourner dans son patelin pour son prochain film. Les pauvres gens, librement inspiré du poème de Victor Hugo, se déroulera à Marseille et mettra en vedette les acteurs de la famille Guédiguian, notamment Ariane Ascaride, Gérard Meylan, et Jean-Pierre Darroussin.

«Je retourne à mes racines. Avec ma tribu!» conclut-il.