Avec La princesse et la grenouille, qui sort en salle vendredi, Disney met de l'avant une première princesse noire. Ça change de la blonde caucasienne. Mais est-ce vraiment la fin des stéréotypes au grand écran?

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Il était une fois une belle serveuse noire qui rêvait de posséder son propre restaurant. Un soir de Mardi gras, elle embrassa un prince grenouille qui rêvait de redevenir humain. Bisou bisou. Tiana fut transformée à son tour en batracien. Et vécut une aventure toute en musique dans les bayous et les rues de La Nouvelle-Orléans des années 20.

Tiana deviendra la première princesse afro-américaine. Considérant l'impact marketing énorme de Disney, la chose n'est pas banale.

«Tout en tenant compte du contexte américain - on pourrait dire que cela aurait dû arriver depuis longtemps -, on ne peut faire autrement que de saluer une première, commente Vivian Barbot, vice-présidente du Bloc québécois et Haïtienne d'origine. Ce n'est pas juste une histoire de petites filles noires, mais de petites filles dans une société où il y a des gens de toutes couleurs, de toutes origines, qui apprennent à vivre ensemble et à se voir comme des égales. Elles partagent le même imaginaire. C'est important dans la construction de l'identité», estime l'ancienne PDG de la Fédération des femmes du Québec, mettant de côté ses réserves féministes sur les princesses et les films à l'eau de rose.

Le film vient couronner une année de grande visibilité pour les Afro-Américaines: les filles du président suscitent beaucoup de curiosité. Leur mère est très présente médiatiquement. Le nouveau film Precious, qui met en vedette une adolescente des ghettos, est salué par la critique. Une nouvelle collection de Barbies noires a été lancée aux États-Unis...

«La reconnaissance récente d'acteurs noirs aux Academy Awards ou même une princesse de Disney noire pourraient créer la fausse perception que l'équité raciale a été atteinte dans l'industrie du cinéma. Ce n'est pas ce que révèle l'examen des films des 16 dernières années», précise toutefois sur son blogue Stacy Smith, professeure à la University of Southern California.

Elle a examiné 400 films présentés entre 1990 et 2006 aux États-Unis et au Canada pour le Geena Davis Institute. Conclusion: seulement 9,5 % des personnages parlants sont identifiés comme des Noirs, alors que ceux-ci forment 12,5 % de la population américaine. Ils sont particulièrement peu présents dans les films classés grand public. Qui plus est, les femmes noires sont beaucoup plus rares que les hommes, et sont beaucoup plus souvent très «sexualisés»: belles, minces, aguichantes.

L'annonce de la sortie du film a suscité une certaine controverse. Certains ont soutenu que Disney voulait surtout tirer profit de l'effet Obama ou occulter la ségrégation raciale en Louisiane.

D'autres ont jugé offensant que le prince soit tout juste bronzé ou que la première princesse noire passe la plus grande partie du film dans la peau... d'une grenouille!

«Ce qui est vraiment important est sous la peau», affirme d'ailleurs une vieille femme dans la bande-annonce du film. «Les recherches confirment que les filles intègrent les images populaires dans la conception de leur propre image», souligne par courriel Dafna Lemish, chercheuse reconnue dans l'étude des jeunes et des médias à l'Université de Tel-Aviv. «L'idée (d'une princesse noire) est très novatrice. Cela permet aux filles d'autres couleurs de se voir comme étant spéciales et désirables, comme les princesses blanches.»

Par contre, la couleur de la peau ne suffit pas à en faire un modèle intéressant, prévient-elle. «Selon que la princesse soit traditionnelle ou qu'elle offre un modèle plus positif, cela fera une différence énorme sur sa capacité à renforcer l'image d'elles-mêmes des filles noires.»

Qu'on le veuille ou non, les princesses sont un symbole important - l'idéal féminin - dans la «culture des filles». Elles sont le plus souvent belles, blanches, très vulnérables, ont besoin d'être secourues. Elles sont souvent naïves et acceptent leur sort plutôt que de faire preuve de détermination et de chercher à changer les circonstances, rappelle Mme Lemish. Sans compter que les princesses et leurs innombrables produits dérivés associent la beauté au consumérisme.

Le directeur du Groupe de recherche sur les jeunes et les médias de l'Université de Montréal, André Caron, doute que Tiana soit une très grande innovation, après Mulan, Jasmine, Pocahontas et autres. Mais il croit que Disney fait quand même un pari en lançant le film alors qu'il y a une certaine polarisation aux accents plus ou moins racistes aux États-Unis face aux politiques d'Obama. À terme, il estime que les personnages noirs seront de plus en plus nombreux au cinéma.

De l'autre côté du spectre, M. Caron souligne la sortie récente de La véritable Precious Jones, l'histoire «très bien faite» de l'affirmation personnelle d'une adolescente enceinte, maltraitée et pas trop jolie. Il prévoit que le film se fera un chemin jusqu'aux Oscars. Classé 13 ans et plus ici, le film ne s'adresse pas aux fillettes.

N'empêche, lorsque la réalité est trop dure, Precious se réfugie dans un monde imaginaire où elle est mince, blanche, blonde et aimée.

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La princesse et la grenouille prend l'affiche vendredi.