L'une des plus grandes histoires d'espionnage du XXe siècle reste aussi l'une des plus méconnues. Dans L'affaire Farewell, Guillaume Canet prête ses traits à un ingénieur français en poste à Moscou, à qui un officier soviétique de haut rang, déçu du système, transmet des informations. L'empire n'y survivra pas.

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À l'époque où s'est dénouée la véritable intrigue de L'affaire Farewell, Guillaume Canet n'était encore qu'un gamin.


«J'ai quand même de vifs souvenirs de l'élection de François Mitterrand en 1981 et de la chute du mur de Berlin en 1989, a raconté l'acteur au cours d'une rencontre de presse tenue la semaine dernière à Paris. Ma connaissance des dernières années de la guerre froide se limitait pas mal à ça. Après, je me suis renseigné, bien sûr!»


Quand Christian Carion, cinéaste sous la direction duquel il avait déjà tourné Joyeux Noël, lui a proposé d'incarner un ingénieur français en poste à Moscou, Canet n'a pas tenté de devenir un expert du domaine non plus.


«Comme je ne connaissais pas les détails de cette affaire de façon précise, j'ai préféré ne pas trop étudier afin de préserver la naïveté du personnage. J'estimais important d'emprunter l'état d'esprit de quelqu'un qui ne s'attend pas du tout à être entraîné dans une histoire d'espionnage. Moins j'en savais, mieux je me portais. Christian était ma source de référence.»
Le comédien s'est ainsi retrouvé à donner la réplique à Émir Kusturica. Les deux hommes, aussi cinéastes, ont recréé à l'écran l'une des plus grandes - et pourtant méconnue - histoires d'espionnage du XXe siècle. L'affaire Farewell, qui s'est déroulée au début des années 80, a en effet contribué à la chute du communisme à la faveur des révélations d'un officier de haut rang du KGB, grand amateur de culture française.


Désillusionné d'un système auquel il croyait pourtant fermement, ce dernier a décidé à l'époque de révéler au camp «ennemi» toutes les informations qu'il détenait. Entre autres secrets d'État: une description du réseau d'espionnage mis en place par les Soviétiques, permettant à leur gouvernement d'accéder aux recherches de toutes natures effectuées en France, en Allemagne et aux États-Unis. Pour ce faire, l'espion a sollicité la collaboration d'un ingénieur français.


«Cet ingénieur étant en poste à Moscou, on s'attend à ce qu'il maîtrise le russe, évidemment! fait remarquer Canet. Cela n'est pas mon cas. Je n'étais même jamais allé là-bas auparavant. Or, il y a plusieurs répliques en russe dans L'affaire Farewell. Je les ai toutes apprises phonétiquement avec un coach. Je tenais à ce que mon accent soit le plus parfait possible à l'audition afin que mon personnage soit crédible. Quand des figurants russes ont commencé à me parler dans leur langue entre les prises, cela m'a rassuré!»


Histoire et vies privées


Les faits relatés dans L'affaire Farewell demeurent au plus près de la réalité. Sur le plan politique à tout le moins. Tout en révélant les détails de la véritable histoire, Christian Carion a aussi entraîné son récit du côté des individus.


«Voilà l'aspect qui m'a le plus intéressé à la lecture, indique Guillaume Canet. D'un côté, il y a cet homme plus mûr, aux prises avec des difficultés familiales, complètement désillusionné par rapport aux valeurs en lesquelles il a toujours cru. Il n'a strictement plus rien à perdre. De l'autre, un homme plus jeune, brillant, en pleine ascension professionnelle, dont les enfants sont très jeunes, et qui court un grand risque en se mêlant à cette histoire.

Christian a bien su manier les histoires personnelles de ces deux individus pour raconter un pan de la plus grande histoire, de nature politique celle-là.»


Si la Russie s'est débarrassée du communisme, l'évocation de cette affaire reste délicate encore aujourd'hui.


«L'acteur russe qui devait interpréter le rôle finalement interprété par Émir a dû se désister trois semaines avant le début du tournage, sur l'ordre du gouvernement, rappelle Canet. Nous avons dû nous installer en Ukraine plutôt qu'à Moscou, les autorités russes ayant interdit le tournage du film sur leur territoire.»


Kusturica prend le relais


Canet a par ailleurs trouvé géniale l'idée de faire appel à Kusturica pour prendre le relais. Le cinéaste, lauréat de deux Palmes d'or à Cannes (pour Papa est en voyages d'affaires et pour Underground), avait déjà interprété un rôle muet dans La veuve de Saint-Pierre de Patrice Leconte.


«D'abord, je suis un grand fan de son cinéma, précise l'acteur. Je serais curieux de le voir travailler en tant que réalisateur. Et puis, je comprenais tout à fait la décision de Christian, car Émir possède un charisme fou. Cela dit, Émir n'est pas du genre à ouvrir les bras facilement. La complicité s'est établie progressivement entre nous. Cela sert bien le film, je crois.»


Guillaume Canet, déjà lauréat du César de la meilleure réalisation grâce à Ne le dis à personne, a par ailleurs terminé le tournage de son troisième film en tant que réalisateur. Les petits mouchoirs est un film d'amis dont les têtes d'affiche sont François Cluzet, Marion Cotillard, Benoît Magimel et Jean Dujardin.


«Je suis un insatisfait chronique, avoue l'auteur cinéaste. J'avais d'ailleurs mis six mois pour le montage de Ne le dis à personne. Même si je suis en autocritique constante, je me fais quand même confiance.»


L'affaire Farewell prend l'affiche le 29 janvier. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.