«Marty fait du cinéma avec amour. Tout, dans ses films, est lié par l'affection qu'il porte envers son art, ses collaborateurs et la place que tient le cinéma dans nos vies.» Ce sont là les mots de Sir Ben Kingsley, qui, dans Shutter Island, compose l'énigmatique psychiatre John Cawley.

 

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Revisitant l'esthétique de Jacques Tourneur, de Mario Bava et d'Alfred Hitchcock, Martin Scorsese ancre le récit de Shutter Island (qui se déroule au début des années 50) dans une tradition filmique qui s'est nourrie des thèmes de la paranoïa et de l'aliénation mentale. «Martin Scorsese est une encyclopédie vivante du cinéma», énonce l'auteur Dennis Lehane, qui a écrit Shutter Island en 2003, alors qu'il craignait un regain de la «peur rouge» dans son pays.

«J'avais l'impression que nous nous dirigions vers une nouvelle ère de maccarthysme. J'ai pensé qu'il serait intéressant d'explorer les racines de la répression», relate Lehane, qui a laissé à Laeta Kalogridis le soin d'adapter son roman pour le grand écran.

Mêlant l'horreur gothique, l'espionnage et le thriller psychologique, Shutter Island est avant tout, de l'avis de son auteur, une plongée au coeur des peurs les plus menaçantes chez l'être humain. «Imaginez que votre enfant a été tué et que vous devez continuer à vivre, prisonnier de votre corps. À l'inverse, que faire quand le statu quo est la folie et que tout le monde dit que c'est vous, le taré? Tout cela est très «Twilight Zone»: vous êtes convaincu de ne pas être paranoïaque et que c'est le monde qui vous persécute.»

Repousser les limites

Peu présent sur le plateau de Shutter Island - «lorsque je vends les droits de mes livres, je me la ferme et je les laisse faire leur boulot» -, Dennis Lehane a été ébloui par les performances des acteurs. «La performance de Leonardo me fait penser aux jeunes années de Marlon Brando. Michelle Williams, qui apparaît comme un être profondément blessé, est fascinante à observer.»

Scorsese a confié à Leonardo DiCaprio, son nouvel acteur fétiche, le rôle de Teddy, un marshall chargé d'une enquête dans une île où se trouve un hôpital psychiatrique de haute sécurité, qui accueille de dangereux criminels. Le cinéaste a invité l'acteur de 35 ans à visionner des films de genre comme Vertigo et Laura, pour mieux s'imprégner des références de Shutter Island.

«Pendant la phase préparatoire, précise l'acteur, nous avons tous été étonnés par la profondeur psychologique de ce personnage. En travaillant sur les différentes «couches» de Teddy, nous avons pu comprendre quel avait été son passé, les événements qui ont marqué sa vie. Plus nous avancions dans le processus, plus les émotions ont pris une intensité que nous n'avions pas anticipée.»

Pour atteindre une clarté dans son jeu, DiCaprio a regardé plusieurs documentaires sur l'histoire des institutions psychiatriques. L'acteur reconnaît que Shutter Island l'a amené à repousser ses limites. «C'est un des tournages les plus hardcore de ma vie.»

Enfermés dans l'île

«Plus on avançait dans le tournage, plus nous étions emballés par la profondeur que prenait le processus, affirme Martin Scorsese. Mais nous ressentions aussi une certaine panique: aurions-nous le temps d'aller jusqu'au bout? Par moments, la pluie et le vent frappaient les acteurs de plein fouet et les empêchaient littéralement de bouger dans le cadre. C'était brutal.»

Le cinéaste a utilisé les plans rapprochés pour rendre l'état de claustrophobie du personnage de Teddy, un élément crucial dans le roman de Dennis Lehane. «Dans une île entourée de l'océan et du ciel à l'infini, où se trouve la claustrophobie? Le piège de Teddy est intérieur et c'est ce que j'ai cherché à reproduire, en puisant dans le répertoire des films que j'ai vus, des livres que j'ai lus et des musiques que j'ai entendues», témoigne le cinéaste, qui, selon Sir Ben Kingsley, a un oeil de lynx qui lui fait capter tout ce qu'il filme dans les moindres détails.

«Marty voit tout: l'infime mouvement d'un sourcil, un coude qui bouge, jusqu'à l'inflexion d'un mot. C'est une vraie bénédiction de travailler dans l'environnement d'amour, de protection et de confiance qu'il sait créer. Rien n'a besoin d'être démontré, souligné, embelli», signale l'acteur d'origine britannique.

«Regarder le travail de Scorsese, c'est assister à l'oeuvre d'un génie, du calibre de Mozart», renchérit Dennis Lehane.

Mais surtout, un cinéaste voué à la mémoire des films, qui s'inspire des oeuvres du passé pour toucher à l'universel. Rien ne se perd et tout se crée.