Le fils de l’auteur de Cent ans de solitude se penche sur le destin d’une femme qui s’est isolée de la vie depuis que, 37 ans plus tôt, alors qu’elle était adolescente, l’enfant qu’elle venait de mettre au monde lui a été arrachée pour être mise en adoption. Conversation avec le cinéaste Rodrigo Garcia, l’homme qui sait parler des femmes.

D’une certaine manière, Rodrigo Garcia avait envie de parler de solitude. «Je voulais raconter l’histoire de deux personnes qui, pour une raison quelconque, avaient été séparées et, depuis, étaient hantées l’autre», raconte celui qui a écrit et réalisé Mother and Child, joint au téléphone à New York.

Cela aurait pu être une histoire de divorce, de mort. Finalement, le fils de l’homme de lettres Gabriel Garcia Marquez a choisi de raconter près de quatre décennies d’isolement et de perte dans la vie de deux femmes dont le parcours a été marqué par l’adoption: il y a Karen (Annette Benning), qui avait 14 ans quand elle a accouché de celle qui sera baptisée Elizabeth (Naomi Watts) par ses parents adoptifs. Car le bébé sera enlevé à la (trop) jeune mère.

«C’est un choix qui a été fait pour Karen, ce n’est pas un choix qu’elle a fait. C’est ce qui l’a "endommagée"», poursuit le réalisateur qui en est venu au thème de l’adoption après être devenu père d’une petite fille. «J’ai été frappé par la force d’attachement qu’un parent ressent pour son enfant et c’est ce qui m’a poussé, je crois, à explorer les conséquences que pourrait avoir la brisure de ce lien.»

Les femmes d’abord

Quasi naturellement, celui qui a aussi écrit et réalisé Nine Lives et Things You Can Tell Just by Looking at Her, a fait porter le drame par des femmes. Elles l’inspirent, il sait les mettre en scène, les faire parler. «Je les aime, elles excitent mon imagination. En fait, je suis avant tout intéressé par les relations entre les gens, les parents, les familles, les amoureux. Et souvent, les femmes sont le ciment dans ces relations -qu’elles le veuillent ou pas, peut-être parce que les hommes refusent le rôle ou ne sont pas capables de le jouer.»

Mais «ses» femmes à lui s’éloignent des stéréotypes hollywoodiens qui veulent que, «ultimement, tout le monde a de bonnes intentions et un cœur d’or. Et peu importe la manière dont les personnages sont présentés, ils doivent être immédiatement aimables pour le spectateur». Karen et Elizabeth ne le sont pas. Pas tout de suite. La première est une asociale tout juste fonctionnelle. La seconde s’enivre en jouant du pouvoir et de la manipulation. Mais elles sont avant tout deux femmes profondément blessées, de différente manière.

L’adoption, même si «c’est une chose formidable, a eu lieu dans de telles circonstances qu’elles sont devenues des êtres compliqués», souligne Rodrigo Garcia. Qui, en cours d’écriture du scénario, s’est rendu compte de l’effet étouffant qui émanait d’un récit passant constamment d’une histoire à l’autre, et vice-versa.

Ainsi est apparue Lucy (Kerry Washington), avec sa propre trajectoire (elle ne peut avoir d’enfant et cherche à en adopter un); et la possibilité de mettre en parallèle l’adoption telle qu’elle se faisait il y a 40 ans et telle qu’elle se pratique aujourd’hui.

Rodrigo Garcia a fait des recherches sur les deux, «mais pas dans des textes spécialisés sur le sujet. Je me suis penché sur des témoignages, des biographies, des interviews. Je me suis ainsi rendu compte que l’ancien système était, dramatiquement, plus utile pour moi, car tout était gardé secret, et ce secret est devenu douloureux pour bien des gens».

Il a ensuite tricoté les trois récits, ces trois histoires présentant trois angles différents de l’adoption et de la perte, de manière à les faire converger. «Il y a eu peu de réécriture des scènes, sinon pas du tout. Le travail le plus important a été fait au niveau de la structure, dans la manière de passer d’une scène à l’autre, d’une vie à une autre, d’un temps à un autre», raconte celui qui a aussi pris le temps de placer des hommes aux côtés des trois héroïnes.

Ils sont incarnés par Jimmy Smits, Samuel L. Jackson et David Ramsey. Les deux premiers auront un impact déterminant et positif dans la vie, le premier, de Karen; l’autre, d’Elizabeth. Cela s’imposait pour Rodrigo Garcia: «Souvent, dans les films «de femmes», les hommes sont l’ennemi. J’avais envie de voir ce qui arriverait à ces deux femmes difficiles et compliquées si je mettais des hommes bons sur leur chemin, explorer ce que pourrait être leur réaction... même s’il aurait été plus facile d’en faire des méchants.»

Sauf que, bon sang ne saurait mentir. Opter pour la facilité n’est donc pas dans ses chromosomes.

Mother and Child a pris l’affiche en anglais seulement.