Après s’être penché sur la question environnementale dans An Inconvenient Truth, le documentariste Davis Guggenheim s’intéresse au système d’éducation américain, dans Waiting for «Superman». Tableau noir. 

D’abord, quelques chiffres. Parmi les 30 pays les plus développés, les élèves américains se classent 25e en mathématiques et 21e en sciences. Depuis 1971, le montant que les États-Unis dépensent pour l’éducation de chaque élève a plus que doublé (passant de 4300 $ à 9000 $ par an) pour s’ajuster l’inflation, mais les taux de réussites en lecture et en maths sont restés les mêmes – là où ils ont augmenté dans à peu près tous les autres pays. En Illinois, un médecin sur 57 et un avocat sur 97 perd son permis de pratique; pour ce qui est des professeurs, un sur 2500 a jamais perdu son permis d’enseigner.

Ce sont quelques-unes des statistiques que le réalisateur Davis Guggenheim (An Inconvenient Truth) ramène la surface dans son nouveau documentaire, Waiting for «Superman», afin d’éclairer les failles, maintenant des gouffres, qui minent le système d’éducation au pays de l’oncle Sam.

Mais ce ne sont pas les chiffres qui parlent le plus, ici. Optant pour une approche très personnelle (mais quand même pas la méthode je-suis-partout de Michael Moore!), le documentariste et sa productrice, Lesley Chilcott, ont suivi cinq enfants grandissant en milieu défavorisé pendant cette période critique où leurs noms seront soumis à une loterie. Un tirage, un vrai. Qui déterminera s’ils auront une place ou pas dans une de ces trop rares et très convoitées charter schools – écoles publiques bénéficiant d’une très grande autonomie dans l’enseignement et les programmes scolaires, souvent à vocation particulière (arts, sciences…); et dont le taux de réussite est largement au-dessus de la moyenne.

Bref, ce tirage au sort pourrait bien déterminer la couleur de l’avenir de Francisco du Bronx, Bianca de Harlem, Anthony de Washington D.C., Daisy de Los Angeles et Emily de Silicon Valley. «Nous avons voyagé à travers tout le pays pour trouver des enfants que leurs parents essaieraient d’inscrire dans une charter school où se tiendrait des soirées d’information. Nous voulions filmer tout le processus», raconte Davis Guggenheim, rencontré durant le Festival international du film de Toronto.  

De la recherche de l’école à l’inscription, de l’attente à la loterie – qui se conclut par plus de larmes que de rires, la demande étant si forte. «Combien de fois est-ce que j’ai eu le désir de lancer ma caméra contre les murs!», laisse tomber Lesley Chilcott en relatant le tournage des moments finaux du documentaire, les fameux tirages au sort, avec les enfants et leurs parents sur le bout de leur chaise, un numéro à la main, alors que, sur l’estrade, tourne le boulier. «Cette loterie est le summum de l’injustice», soupire-t-elle.

Outre les enfants, les documentaristes ont placé devant leurs caméras des gens qui peuvent ou pourraient faire une différence. Entre autres, le flamboyant Geoffrey Canada, ancien professeur qui a créé la Harlem Children’s Zone, un secteur qui couvre 97 pâtés de maison dans un secteur extrêmement défavorisé où il a installé des écoles dont le taux de succès est phénoménal.

Un héros? Il éclate de rire à cette idée. «Tout le monde me déteste! La droite, parce que je veux que l’on paie mieux les professeurs – qui sont honteusement sous-payés. La gauche, parce que je veux que les mauvais enseignants puissent être renvoyés», fait celui qui s’est donc mis aussi à dos les syndicats des enseignants. «Mais ils peuvent difficilement m’épingler parce que je suis un produit de l’école publique et que je dépense beaucoup d’argent pour fonder des écoles publiques.»

Écoles qui reflètent la philosophie de Geoffrey Canada. Il n’accepte pas qu’un professeur qui s’assoit sur ses lauriers gagne le même salaire qu’un autre, qui se démène – «On nivelle ainsi par le bas, parce qu’un jour où l’autre, le bon prof va baisser les bras: pourquoi faire plus quand on peut gagner la même chose en ne faisant rien?» - et qui est persuadé que, si les mauvais professeurs restent dans le système, «il faut les envoyer dans les écoles qui accueillent des enfants de la classe moyenne. Ils feront moins de dégâts, là.»

Tant les documentaristes que les intervenants se défendent toutefois de ne pointer du doigt que les enseignants et les syndicats: «Cessons d’accuser, de gratter le bobo! C’est comme si le Titanic était en train de couler et qu’on se posait des questions sur la compagnie qui a fabriqué les lits!», poursuit Geoffrey Canada. La raison d’être de Waiting for «Superman» est plutôt d’exposer le problème. «Si seulement nous pouvons amener les Américains à s’intéresser à ces enfants pauvres, à faire fi de la couleur et de la race…» soupire-t-il.  

«En fait, ce n’est pas un film, c’est un mouvement», fait Lesley Chilcott, en faisant référence au site waitingforsuperman.com – qui, lui, permet les discussions et incite à l’action. Afin que l’Amérique soit assez concernée par ses enfants pour poser des gestes concrets plutôt que d’attendre un hypothétique Superman.

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Waiting for «Superman» prend l’affiche le 8 octobre