Après le Tokyo de Lost in Translation et le Versailles de Marie-Antoinette, Sofia Coppola tourne sa caméra vers un «quelque part» appelé Los Angeles. Rencontre avec une cinéaste qui sait où elle va.

Sofia Coppola a grandi dans les coulisses des plateaux dirigés par son père. Mais elle n'y a jamais croisé Johnny Marco. Elle y a par contre croisé des acteurs qui lui ressemblent. «Le personnage est basé sur plusieurs personnes que j'ai rencontrées. Je peux imaginer ce qu'est cette vie, quand vous devenez très connu, que votre vie change... et comment elle change», a-t-elle raconté lors de rencontres de presse tenues à Los Angeles à la fin de l'année dernière.

Son plus récent film, Somewhere, est une chronique hollywoodienne en géographie et en thème, mais pas en budget! «Petit budget, petite équipe: j'ai pu faire ce que je voulais», sourit l'auteure- cinéaste oscarisée pour Lost in Translation puis «malmenée» pour Marie-Antoinette. C'est la première fois qu'elle tournait à Los Angeles: «Je voulais cette lumière et les palmiers, vus à travers les fenêtres.»

Les fenêtres d'un hôtel, encore une fois. Après le Park Hyatt de Tokyo et le château de Versailles, «qui était d'une certaine manière un hôtel», c'est au mythique Château Marmont - où James Dean, John Lennon et autres Marilyn Monroe ont séjourné, et où John Belushi et le photographe Helmut Newton sont morts - qu'elle a installé ses caméras et son acteur, Stephen Dorff. Sans figure de style: elle lui a demandé d'y vivre, durant les quelques semaines qu'a duré le tournage, «afin qu'il soit vraiment immergé dans le monde de son personnage».

Stephen Dorff, à qui elle a pensé dès l'écriture du scénario - «parce qu'il possède quelque chose de doux qui n'a jamais été exploité à l'écran» - et qui incarne Johnny Marco. Acteur qui a réussi professionnellement, comme en témoignent sa Ferrari et sa présence à la une des journaux à potins; mais qui, personnellement, tourne à vide dans une vie où défilent les filles et où il s'engourdit à coups de pilules. Jusqu'au jour où sa fille, Cleo (Elle Fanning), vient passer quelques jours avec lui, fissurant cette fragile bulle de confort artificiel et lui ouvrant une fenêtre sur ce qu'il rate de la «vraie» vie.

Un défi pour les acteurs

«Aux yeux de mon père, il est important de faire des films que nous seuls pourrions faire. Il croit que Somewhere est exactement cela pour moi», poursuit la fille de Francis Ford Coppola. La cinéaste aime «l'idée de faire des films sur ces petites choses qui peuvent provoquer de grands changements intérieurs». Elle est toutefois consciente du défi que cela représente pour ses acteurs et pour elle. «C'est de loin le rôle le plus difficile que j'ai eu à jouer, admet Stephen Dorff (Public Enemies, World Trade Center). Je suis nu dans ce rôle. Dans certaines scènes - et elles peuvent être longues - je suis seul avec, parfois, une cigarette comme accessoire. Et cette cigarette, je la fume en temps réel!»

Mais pour lui, il était évident, à la lecture du scénario, qu'il allait être de cette aventure lente de rythme et tranquille en surface. «C'est l'histoire d'un père adolescent qui devient un homme. Ici, à Hollywood, nous sommes dans les tabloïds et dans toutes ces choses qui nous éloignent de la réalité. Sofia est plus dans la poésie, ça me plaît.» L'acteur a accepté le rôle parce qu'il savait que c'est ce que sa mère, morte il y a près de deux ans, rêvait de le voir jouer: «Un de ces rôles à la Steve McQueen. Un personnage avec des défauts, entouré de filles, mais qui a un coeur d'or. Ma mère, c'est mon champion. C'est entre autres pour elle que j'ai fait ce film.»

Lui, en tant que Johnny Marco, n'est pas le champion de sa fille, Cleo. Parce que la gamine, âgée de 11 ans, ne le connaît pas, pour ainsi dire. Et vice versa: il s'étonne de découvrir qu'elle fait du patinage artistique alors qu'elle pratique ce sport depuis plusieurs années. Et a, en cela, donné du fil à retordre à Elle Fanning: «J'ai fait du ballet pendant longtemps, donc la posture m'était naturelle. Mais pour le patinage, j'ai dû m'entraîner tous les jours pendant trois mois. Stephen ne m'avait jamais vue, un peu comme Johnny n'a jamais vu Cleo, et Sofia a joué là-dessus: elle a gardé le premier programme auquel Stephen a assisté même si ce n'était pas le meilleur», indique celle qui vient de terminer Twixt Now and Sunrise devant la caméra de Coppola père: «J'ai pu voir d'où Sofia tient son talent et cette manière d'obtenir le calme sur le plateau. La différence, c'est que la voix de son père est plus forte», rigole-t-elle.

Sofia Coppola sourit à l'anecdote. Sa voix est douce. Mais sa volonté est de fer et sa vision, très claire. «Il le faut, car, dans un film comme celui-là, les acteurs ne peuvent s'appuyer sur les dialogues: il y en a peu. Ce qu'ils ont à transmettre vient beaucoup de l'intérieur. C'est pour ça que je leur explique. Je ne les laisse pas aller à l'aveuglette, mais je sais combien ce que je leur demande est difficile à faire.»

Main de fer dans gant de velours, elle les a ainsi pris par la main pour les conduire quelque part. Somewhere.

Somewhere (Quelque part) prend l'affiche le 14 janvier.

 

Les frais de voyage ont été payés par Alliance Vivafilm.