Mardi, Ciné-Québec, événement annuel qui rassemble le gratin du cinéma québécois, rendra hommage à Roger Frappier, président-fondateur de Max Films. À 65 ans et après s'être relevé d'un grave problème de santé, l'homme a modifié sa façon d'aborder la vie et le travail. Mais il demeure toujours aussi fougueux, tant dans son désir de faire des films de qualité que dans sa façon de penser.

Ses films ont remporté d'innombrables prix. Le Festival de Cannes lui a rendu hommage. Il est officier de l'Ordre national du Québec. Et Ciné-Québec s'apprête à lui tirer son chapeau. Mais Roger Frappier, homme derrière les films Le déclin de l'empire américain, Un zoo la nuit, La grande séduction et À l'origine d'un cri, ne s'habitue pas aux hommages.

«On s'y habituerait si ça donnait quelque chose, lance-t-il avec franchise. Mais comme ça ne donne rien... Il faut toujours se battre. Si je résumais de la façon la plus simple le métier de producteur, je dirais: toujours se battre. C'est peut-être vrai ailleurs aussi, mais, au Québec, le dernier film n'est pas garant du prochain.»

À Cannes non plus, faut-il croire. Lorsqu'en 1998, le festival a honoré 11 producteurs de la planète, Frappier était du nombre. Mais cette année-là, les programmateurs ont refusé de prendre Un 32 août sur terre, premier long métrage de fiction d'un jeune réalisateur du nom de Denis Villeneuve.

«J'ai dit à Gilles Jacob (alors délégué général): «Vous pouvez garder votre hommage. Moi, cette année, j'ai fait un film.» Ils ont finalement sélectionné le film de Denis dans la catégorie Un certain regard, mais ils ne lui ont donné qu'un seul visionnement au lieu de deux.»

Cela dit, n'allez pas croire que Frappier, homme affable, poli, posé et conteur extraordinaire, lève le nez sur le prix qu'on s'apprête à lui remettre. Qu'un tel hommage vienne des propriétaires de salles de cinéma lui va droit au coeur.

«J'ai passé ma vie à défendre le principe que le cinéma d'auteur devait rejoindre le public, défend-il. Je n'ai jamais érigé un système dans lequel il y a, d'un côté, le cinéma purement commercial et, de l'autre, un cinéma purement d'auteur. J'ai toujours voulu que les films faits pour plaire au public aient quand même une notion d'auteur et que les films qui ont une notion d'auteur puissent plaire au public.»

Là-dessus, il cite en exemple Denys Arcand, cinéaste qui «porte une oeuvre très personnelle mais qui n'a jamais eu peur du mot entertainment». Frappier, dont le premier film produit de façon professionnelle fut Le déclin de l'empire américain, passe de longues minutes à exprimer toute l'admiration qu'il a pour Arcand. Comme il le fera au fil de l'entrevue pour Jean-Claude Lauzon, Manon Briand, Denis Villeneuve et d'autres.

«Roger n'a jamais été jaloux du talent des autres, affirme François Macerola, président de la SODEC. Et il est capable de faire la différence entre le très bon et l'excellent. Il y a toujours un supplément d'âme dans ce qu'il fait.»

Catalyseur de talents

Et des choses, il en a faites. Après avoir tâté de la réalisation au début de sa carrière, Frappier a été assistant-réalisateur de Claude Jutra et de Gilles Carle. Admirant le travail de Robert Altman, il a tellement sollicité ce dernier pour travailler à ses côtés que le réalisateur américain en a fait son... chauffeur!

De retour au Québec, Frappier a travaillé à l'ONF où il coproduit Le déclin, Anne Trister de Léa Pool et Pouvoir intime d'Yves Simoneau. Il a quitté l'institution en 1986 et s'est lancé dans la production privée. Outre les titres déjà mentionnés, Frappier est aussi derrière des films comme Jésus de Montréal, Borderline et Dédé à travers les brumes. Il a également participé à plusieurs projets de coproduction avec l'étranger. Dans son hommage, Ciné-Québec dit de lui qu'il a toujours défendu la relève. Sa filmographie en témoigne. Et plus particulièrement le film Cosmos, tourné en 1999 et réunissant six jeunes réalisateurs.

«J'ai fait Cosmos pour aller chercher une nouvelle génération et dire qu'elle doit avoir accès à sa vision, à son temps-écran, raconte le producteur. Ç'a été une des plus belles expériences de ma vie. C'était formidable.»

L'explorateur Bernard Voyer, autre ami (et voisin) du producteur, salue sa grande curiosité et sa capacité d'attention. «Roger écoute tout le monde et croit que chacun a quelque chose à lui apprendre, indique-t-il. Il contribue à l'avancement du cinéma d'abord pour les gens d'ici, mais aussi pour les autres. Prenez La grande séduction qui sera tourné en anglais.»

De l'énergie à revendre

Roger Frappier regrette-t-il de ne pas avoir poursuivi une carrière de réalisateur? «Je n'ai pas de regrets, mais parfois des relents, répond-il en riant. Jeune, j'avais l'énergie pour faire un film par année. Mais à l'époque, on faisait un film tous les quatre ans. Ce n'était pas dans mon énergie de tourner et de passer trois ans à chercher un autre projet. À l'époque, il y avait peu de producteurs. Je me suis dit: «Je vais devenir le producteur que j'aurais aimé avoir.»» Il attribue à Denys Arcand le fait d'avoir alimenté sa réflexion pour tâter de ce métier.

Il y a quelques années, Frappier a frôlé la mort lorsqu'il a été victime d'une rupture de l'oesophage. Il a été sur le carreau durant six mois. Depuis, il voit les choses autrement. Certes, il travaille toujours très fort, mais il se réserve du temps à lui. Au lendemain de notre entrevue, il quittait le Québec pour la Patagonie. Un voyage de deux semaines à moto avec une poignée d'adeptes venus des quatre coins du monde. «Quand on est producteur, il n'y a pas de bon moment pour partir, mais il le faut», réfléchit-il.

Roger Frappier sera de retour au Québec lundi soir. Et sera à Ciné-Québec le lendemain. «J'espère seulement que l'avion ne sera pas en retard», lance-t-il dans un grand rire.