Présenté hier en compétition, This Must Be the Place devrait en principe figurer au palmarès. Sous la direction de Paolo Sorrentino, Sean Penn propose l'une des compositions les plus singulières de sa carrière.

Il y a trois ans, Sean Penn officiait au Festival de Cannes à titre de président du jury. Il Divo, sélectionné en compétition officielle cette année-là, avait valu au cinéaste italien Paolo Sorrentino le prix du jury. Une fois le palmarès annoncé et la Palme d'or attribuée (à Entre les murs de Laurent Cantet), le président s'est amené sur scène pour la photo de famille avec les lauréats.

«C'était alors la première fois que nous avons eu l'occasion de nous parler, Paolo et moi», a raconté hier Sean Penn lors d'une conférence de presse. Je lui ai alors dit que si jamais il avait un projet de film dans lequel il avait un rôle pour moi, c'était quand il voulait, où il voulait, peu importe le sujet. Un an plus tard, j'ai reçu le scénario de This Must Be the Place. J'ai dit oui tout de suite.»

L'acteur a bien fait. Il trouve non seulement dans ce film l'un des rôles les plus singuliers de sa carrière, mais This Must Be the Place fait sans contredit partie des quelques films «palmables» dont pourrait tenir compte le jury.

L'acteur, lauréat de deux Oscars (Mystic River et Milk), se glisse cette fois dans la peau d'une rock star. Il a 50 ans. On lui en donnerait au moins 10 ans de plus. Clone outré de Robert Smith (du groupe The Cure), grimé et maquillé comme une bête vieillissante hirsute directement sortie des années 80, celui qu'on appelle Cheyenne, qui vit à Dublin, traîne péniblement sa dégaine comme Ozzie Ozbourne un lendemain de veille. S'étant retiré de la scène depuis 20 ans, l'ancien performeur découvre, à la mort de son père, un pan de vie inconnu de ce dernier. Pour venger le paternel d'une humiliation subie à Auschwitz, Cheyenne se mettra en tête de pourchasser le bourreau. Qui, présume-t-on, vit aux États-Unis.

Un ton décalé

Oui, le sujet est dramatique. Mais Sorrentino emprunte un ton décalé du plus bel effet. Sans être iconoclaste, son humour est quand même ironique, riche en observations, et atteint précisément la cible. Le regard sur la société américaine est d'autant plus digne d'intérêt que ce film, même si tourné aux États-Unis, reste entièrement européen de forme et de fond.

«Paolo et moi avons parlé longuement des questions liées à la dépression quand est venu le moment de composer le personnage, a expliqué Sean Penn. L'impact d'une dépression sur le physique de quelqu'un est très réel. Cela dit, Paolo est l'un des meilleurs cinéastes contemporains. Un acteur a toujours le sentiment de créer quelque chose, mais quand il se retrouve entre les mains d'un artiste ayant une véritable vision de son oeuvre, le mieux encore est d'écouter. Et de s'abandonner. En fait, j'ai eu le sentiment d'être le tourneur de pages d'un très grand pianiste!»

Visuellement splendide, serti aussi de magnifiques traits de mise en scène, This Must Be the Place, dont le titre est tiré d'une chanson des Talking Heads (reprise aussi par Arcade Fire, fait-on remarquer dans une scène très drôle), se révèle à la fois moqueur et profond. Certaines scènes, très dramatiques, nous ramènent d'ailleurs au coeur de la plus sombre histoire du XXe siècle. La dernière image, simple mais très forte, nous hantera longtemps.

Absent de la conférence de presse de The Tree of Life lundi, dont il est aussi l'une des têtes d'affiche, Sean Penn a précisé hier que dans son esprit, les deux films sont de nature totalement différente. Même s'il incarne, tant sous la direction de Terrence Malick que de celle de Sorrentino, un fils ayant des comptes à régler avec son père, aucune comparaison n'est possible.

«Ces deux films sont si différents que je ne peux même pas commenter, dit-il. Et puis, ils ont été tournés à quelques années d'intervalle!»

Signalons par ailleurs la présence de David Byrne, leader des Talking Heads, dans une séquence musicale qui se prolonge ensuite en une scène-clé sur le plan dramatique.

«David ne voulait pas vraiment jouer, mais j'ai réussi à le convaincre!», révèle Paolo Sorrentino, visiblement fier de son coup.

Fin de course

Une bonne dizaine de candidats sérieux -la compétition fut quand même assez relevée cette année- pourraient espérer figurer au palmarès. Lequel sera annoncé demain. The Tree of Life (Terrence Malick), Le gamin au vélo (Jean-Pierre et Luc Dardenne), La piel que habito (Pedro Almodovar), Le havre (Aki Kaurismaki), Pater (Alain Cavalier) et Polisse (Maïwenn) semblent être les plus beaux prétendants. Les décisions d'un jury étant souveraines, et parfois très surprenantes, tout pronostic est quand même ici vain.

On voit pourtant mal comment pourraient se distinguer les films plus «discrets» présentés plus tôt cette semaine dans la compétition.

Les Japonais, notamment, ont déçu. La réalisatrice Naomi Kawase, auteure du superbe La forêt de Mogari (Grand Prix en 2007), propose cette fois une fiction consacrée à la ville historique d'Asuka sans retrouver le souffle poétique auquel elle nous a habitués. Takeshi Miike, abonné des histoires étranges, propose le très classique Hara-Kiri, Death of a Samurai, un (pénible) film en 3D, mal inspiré du Harakiri de Kobayashi. En plus d'être assommant, le film impose une 3D totalement inutile car seuls le générique et les sous-titres sont pratiquement mis en relief!

Quant à Drive, un film de genre, très stylé, dans lequel les talents de Ryan Gosling et Carey Mulligan sont gaspillés, on se demande quelle est sa place dans une compétition de cette envergure. Si ce n'est, peut-être, pour anticiper le prochain effet de mode avant tout le monde, ou par crainte de le rater. Le film de Nicolas Winding Refn est divertissant, certes, mais n'est quand même pas du moule dont ont fait les grandes oeuvres.