En incarnant le rocker Gérald Boulet, «personnage gigantesque», Mario Saint-Amand a pu se revoir dans ses dérives passées, mais après le tournage de la dernière scène du film Gerry, il a tourné la page sur ses propres souffrances. Rencontre avec un bluesman acteur qui s’était longuement préparé à recevoir ce «cadeau de la vie».

> Saint-Jean-sur-Richelieu a applaudi son Gerry

«J’étais celui à qui la perruque faisait le mieux...»

Devant son thé glacé, attablé dans ce resto où, dans son autre vie, il dansait sur les tables à deux heures du mat’, Mario Saint-Amand, l’éclair souriant, répond à la question à savoir pourquoi on l’a choisi, lui, pour le rôle de Gerry Boulet.

Certains le disaient trop vieux. On peut voir là une limite, effectivement: dans sa 44e année à la sortie du film - Gerry arrive sur les écrans le 15 juin -, Mario Saint-Amand a exactement l’âge qu’avait Gérald Boulet quand il est mort du cancer en 1990. En apprenant le diagnostic et le traitement chimiothérapique qui suivrait, le Gerry du tandem Nathalie Petrowksi/Alain DesRochers ne pose qu’une question: «M’as-tu pardre mes ch’feux?»

Gerry Boulet n’a jamais porté de perruque. Ni fait dans la demi-mesure. Comme Mario Saint-Amand. Jadis ou maintenant. «Quand j’ai accepté le rôle, j’ai embauché un entraîneur personnel - j’ai monté le Mont-Royal en courant pendant des semaines -, un coach de voix et un prof de piano. J’ai appris à jouer du piano en trois mois», nous dit le comédien qui a grandi dans une famille où il y avait un Baby Grand Yamaha 1958... qu’il n’a jamais touché.

C’est qu’il voulait chanter, le jeune Saint-Amand. Ce qu’il fera, dans une chorale, jusqu’à l’âge de 10 ans, alors que des nodules le réduiront au silence pour le laisser avec la voix qu’il a. «Cette voix brûlée par l’alcool, la cigarette et les nuits folles» et avec laquelle, comme Gerry avant lui, il chante le texte du magnifique poète qu’était Gilbert Langevin (1938-1995). «Pour moi, c’est la plus grande chanson que Gerry a jamais chantée...»

Dans le film (voir gerrylefilm.com), c’est Gerry qui chante, avec Saint-Amand en lip-sync, si on peut dire. À trois exceptions près: pour Câline de blues, quand Pierre Harel (Éric Bruneau), qui vient d’arriver avec Offenbach, convainc Gerry de chanter en français; avec le même Harel, à Saint-Jean, Gerry-Saint-Amand compose la musique de Faut que j’me pousse. Finalement, Saint-Amand chante Georgia on My Mind de Ray Charles dans la scène des funérailles du père de Gerry, celui-ci s’accompagnant aux grandes orgues de cette église de Saint-Jean.

«Il n’a jamais été question que je chante toutes les chansons du film, dira Mario Saint-Amand. Ça m’aurait demandé une trop longue préparation et, là encore, j’aurais été poussé à l’imitation ce que je voulais éviter à tout prix. Gerry avait une voix unique...»

Mario Saint-Amand n’a jamais rencontré Gerry Boulet. Il a vu Offenbach en spectacle une fois, au milieu des années 80, au cégep de Saint-Hyacinthe où il a étudié en théâtre. Pas longtemps... «On m’a laissé entendre que je ne n’avais pas d’avenir là-dedans à cause de ma voix granuleuse.»

Pour tracer les contours du personnage, le comédien a rencontré Denis Boulet, le frère de Gerry qui a été le premier batteur d’Offenbach; Breen LeBoeuf, bassiste d’Offenbach dernière époque et collaborateur de Gerry jusqu’à la fin; et Françoise Faraldo, la compagne de vie de Gerry à partir de 1973. «Françoise respecte le travail des comédiens et elle nous a été d’une aide précieuse, surtout auprès de Capucine Delaby», la jeune Française qui joue le rôle de Mme Faraldo dans le film.

Mario Saint-Amand a-t-il découvert un côté méconnu de Gerry? «Breen m’a souvent dit que Gerry aimait rire même s’il n’était pas un gars très loquace. Ses chums ne savaient jamais par quel bout il allait exploser...»

Drogue

La drogue est partout dans le film; comment a réagi l’ancien toxicomane?

«J’avais la certitude que je devais être en pleine possession de mes moyens pour rendre toutes les facettes d’un personnage de cette envergure: dans ses amours et ses haines, ses amitiés et ses chicanes, la musique et la dope. Jamais je n’aurais pu jouer Gerry si je consommais encore...»

Un jour de 2007, après une douloureuse rechute, Mario Saint-Amand a suivi le conseil d’un ami: «Va voir le frère André, donne-lui ton quart (NDLR: comme dans quart de gramme de cocaïne) et demande-lui de prendre soin des trois autres quarts de ta vie...» Au plus creux de sa vie, Mario Saint-Amand est monté à la petite chapelle du bienheureux près de l’oratoire Saint-Joseph - le frère André n’avait pas encore été canonisé -, et il a pleuré toutes larmes de son maigre corps. «Je suis sorti de là guéri, man!»

Trente-cinq ans plus tôt, presque jour pour jour, dans ce même Oratoire, Gerry Boulet et Offenbach avaient chanté la première messe rock de l’histoire du Québec devant 5000 fidèles qui, à celle de l’encens, avaient ajouté l’odeur de leurs propres fumées liturgiques. «Un bingo qui aurait pu devenir un grand événement», avait écrit René Homier-Roy dans La Presse.

Guéri...

Une scène du film a mis Mario Saint-Amand devant la fragilité des choses. «Dans la scène avec Marjo (Maxime Morin), au Bistro à Jojo, il y avait de la vraie bière et du vrai cognac sur la table. C’est une scène d’une grande intensité: Gerry voulait vraiment que Marjo chante avec lui sur son disque (Rendez-vous doux, 1988). J’ai essayé de me mettre dans son état d’esprit d’alors - dans ma symphonie de Gerry, chaque scène avait sa propre mélodie - mais là, il y avait l’odeur du cognac qui me montait dans le nez...»

Avec l’aide du frère André, Mario Saint-Amand continue de voir la vie «avec les yeux du coeur»... 24 heures à la fois.

La vie et son métier de comédien où, comme le lui a enseigné Danielle Fichaud, «jeu» doit toujours déboucher sur «plaisir». Plaisir du coeur: «J’ai joué le Gerry que j’avais en dedans de moi et mon souhait est que chacun reparte après avoir vu le Gerry qu’il portait en lui».