Lauréate l’an dernier du Louis-Delluc du meilleur premier film, l’auteure cinéaste Rebecca Zlotowski s’est fait remarquer grâce à Belle épine, un récit d’apprentissage magnifié par la présence de Léa Seydoux.

Depuis le lancement de Belle épine à la Semaine de la critique du Festival de Cannes l’an dernier, où le film a reçu un accueil critique enthousiaste, Rebecca Zlotowski a du mal à croire à ce qui lui arrive.

«Il est vrai qu’on peut difficilement prévoir ce genre de chose au moment où l’on fait un film, explique l’auteure cinéaste au cours d’une interview accordée à La Presse. Surtout dans le contexte où il a été fait.»

Essentiellement intéressée par l’écriture, la jeune auteure est d’abord entrée à la FEMIS (l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son de Paris) au département du scénario. Pendant sa formation, elle a coécrit quelques courts et longs métrages, qu’elle n’a pas réalisés.

«J’apprécie particulièrement l’expérience de collaboration dans le cinéma, précise-t-elle. Or, j’ai reçu la commande d’écrire un film toute seule en guise de projet de fin d’études. J’ai donc écrit le scénario sans savoir s’il allait être éventuellement porté à l’écran. C’est forcément devenu plus personnel. Un producteur s’y est intéressé. Et m’a fait comprendre que j’étais la seule personne à pouvoir en assumer la réalisation.»

Ainsi est né Belle épine, qui relate le parcours de Prudence, adolescente de 17 ans. Interprétée par Léa Seydoux, la seule comédienne que Rebecca Zlotowski ait rencontrée avant de lui attribuer le rôle, cette jeune fille, livrée à elle-même, tente de s’intégrer dans un monde particulier. Grâce à une nouvelle amie, Prudence a en effet découvert un circuit «sauvage» où des jeunes participent à des courses au volant de grosses cylindrées et de motos rugissantes.

Une époque non définie

Même si l’histoire est campée dans le décor du circuit de Rungis, qui a réellement existé à la fin des années 70, l’auteure cinéaste a tenu à ne donner aucune indication sur l’époque où elle se déroule.

«Je ne voulais pas céder à la tyrannie du réalisme, dit-elle. En ne définissant pas l’époque, la dimension politique du récit se retrouve évacuée. Les références sont contredites. Cela maintient aussi une certaine distance, qui permet au spectateur de mieux se concentrer sur la psychologie des personnages. En fait, le plus grand indice à propos de l’époque réside dans cette indifférence qu’ont les adultes envers les ados. C’est-à-dire que les ados du film évoluent à une époque où ils n’étaient pas encore vus comme un groupe de consommateurs vers qui on cible divers produits.

«En fait, poursuit-elle, Belle épine se pose un peu comme un manifeste. Je revendique le droit de raconter des émotions retardées, dictées par la réflexion et la fiction. Les gens croient dire la vérité quand ils disent ce qu’ils pensent. Mais la vérité dans les émotions, elle est aussi ailleurs.»

Un échantillonnage

Rebecca Zlotowski est née en 1980. Vouant une grande admiration au cinéma de Maurice Pialat (et aussi à celui de Denis Côté), l’auteure cinéaste est une femme bien de son époque. Qui s’est construit une culture cinématographique par échantillonnage.

«J’ai grandi à une époque où les images venaient à vous avant même que vous fassiez vous-mêmes la démarche de les voir, indique-t-elle. J’ai été élevée avec le VHS. On pouvait voir et revoir un film de façon quasi obsessionnelle. J’ai gobé tout ce que mes parents pouvaient mettre dans le lecteur. Cela a aiguisé mon appétit. Il y a ainsi toute une salve d’images, de références, d’influences, liée à ce que j’ai reçu avant même d’aller le chercher. Ensuite, on passe à une étape plus active de la cinéphilie. Qui, dans mon cas, s’est manifestée par un grand intérêt pour le cinéma italien.»

Elle affirme aussi faire preuve d’une cinéphilie «paresseuse». Dans la mesure où elle ne voit pas systématiquement tous les films des cinéastes qu’elle aime.

«Je tiens aussi à voir les films de mes contemporains. Quand un film me plaît, j’ai tendance à le revoir plutôt que d’en choisir un autre du même auteur!»

La jeune femme fait également remarquer qu’elle est née à une époque où l’accessibilité et la «consommation» des productions cinématographiques se sont beaucoup transformées. Notamment grâce aux nouvelles plateformes de diffusion. Contrairement à plusieurs de ses collègues, Rebecca Zlotowski estime qu’un film peut être vu - et apprécié - peu importe ses conditions de diffusion.

«Je n’ai aucun fétichisme par rapport à la projection, dit-elle. Évidemment, un film comme Belle épine demande une attention particulière et je crois que la projection en salle reste encore le meilleur endroit pour ce faire. Et je comprends tout à fait ceux qui ne jurent que par cette forme de projection. Mais, personnellement, je prends autant de plaisir à voir un film en DVD que sur mon ordinateur, ou même en allant surfer sur YouTube. La pertinence d’une oeuvre ne dépend pas de la plateforme sur laquelle elle est diffusée, à mon avis.»

Elle affirme par ailleurs avoir tiré un apprentissage de son expérience de réalisation.

«Avec le recul, je ne referais probablement pas ce film tout à fait de la même manière. C’est-à-dire que je n’évacuerais peut-être plus totalement la dimension politique au profit de l’intime. Comme j’écris présentement mon deuxième long métrage, je réfléchis beaucoup à la question. Cela dit, Belle épine correspond entièrement à ce que je voulais faire au moment où je l’ai fait.»

Belle épine prend l’affiche le 10 juin.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.