Non, ce n'est pas un mythe: le champion Muhammad Ali a bel et bien mis les pieds à Rouyn-Noranda, deux ans après avoir raccroché ses gants de boxe. C'était en 1983, à l'invitation des rêveurs qui organisaient les Championnats sportifs du Québec. Le récit dans Voir Ali, de Martin Guérin, qui sauve de l'oubli l'exploit d'une poignée d'Abitibiens.

Le documentariste abitibien Martin Guérin est un fana de sports. Hockey, baseball, foot - il arborait sa veste de l'Arsenal le jour de notre entrevue. Et la boxe, bien sûr. Il avait 11 ans lorsqu'on annonça la venue de Muhammad Ali à Rouyn-Noranda, à côté de son Amos natal.

«Mon père m'avait montré l'annonce de la conférence de Muhammad Ali, se rappelle Guérin. J'en revenais pas. Mais il m'a dit: «Regarde-la bien, l'affiche, parce que c'est le plus près de Muhammad Ali que tu seras.» À 50$ le billet, en pleine crise économique, j'avais bien compris qu'on n'avait pas les moyens d'aller l'entendre parler...»

L'ambiance était alors morose dans le pays minier. Les taux d'intérêt s'emballaient, le prix des métaux était au fond du baril, celui du pétrole, forcé de redescendre après le choc de la fin des années 70. Rouyn-Noranda avait malgré tout la responsabilité d'organiser les Championnats sportifs du Québec, une mission qui dépassait la dimension sportive. Non seulement la région avait besoin de se remonter le moral, mais elle devait aussi prouver qu'elle était capable de faire les choses en grand. Voire d'accomplir l'impossible. Et elle a réussi.

Une visite tabou

Pourtant, assure Martin Guérin, la visite du plus grand athlète du XXe siècle n'a pas fait que des heureux. «Après sa visite, c'était même devenu presque tabou d'en parler», déplore-t-il. Plusieurs ont été déçus de la visite d'Ali, qui avait fait escale dans les grands chantiers hydroélectriques du nord du Québec avant d'atterrir à Rouyn, histoire de lui faire voir les grandeurs du génie québécois.

Or, au-delà du coup d'éclat, le comité organisateur de la ville hôte des Championnats cherchait à rentabiliser cette invitation. La conférence d'Ali servirait à récolter des fonds pour renflouer les coffres de l'événement.

«On ne sait pas exactement quel fut le bilan financier de l'opération, indique le réalisateur. Selon certaines estimations, les Championnats auraient terminé dans le rouge.» Un déficit de milliers, voire de dizaines de milliers de dollars.

À elle seule, la visite d'Ali aurait coûté plus de 15 000$. Or, non seulement l'événement ne fut pas rentable, mais, en plus, l'athlète a commencé sa conférence en disant qu'il n'allait pas parler de boxe. Il a plutôt parlé de la condition des Noirs aux États-Unis et de l'Islam...

«À l'époque, j'imagine que ça a déçu beaucoup de gens, sans compter les jalousies de ceux qui n'étaient pas de Rouyn-Noranda et qui n'ont pas hésité à blâmer les organisateurs, croit Guérin. Et pourtant... quel exploit! C'est historique! On devrait plutôt être fier d'avoir réussi ça.»

Voir Ali, ce n'est pas seulement le récit d'une visite rare ou le témoignage de privilégiés qui ont côtoyé de près la légende. C'est une oeuvre qui contribue à réhabiliter l'événement et ceux qui l'ont rendu possible, en lui redonnant la place qu'il mérite dans l'histoire de la région.

Voir Ali prend l'affiche aujourd'hui.