Cinéaste engagé, observateur du Québec moderne pour lequel il a une réelle affection, Hugo Latulippe n’en est pas moins préoccupé et critique du climat ambiant. Ce qu’il évoque dans son nouveau documentaire où il donne la parole à «53 personnalités inspirantes». Nous l’avons rejoint en Suisse où, avec sa famille, il poursuit un séjour de deux ans.

1-On dirait que pour vous, les choses ne s’améliorent pas dans la société québécoise?

«Il y a en effet un constat de grisaille politique invraisemblable. C’est quelque chose de ressenti et d’exprimé par bien du monde. J’ai ressenti une espèce d’urgence citoyenne à tourner ce film. J’ai voulu faire ma part tout en conservant mon regard de cinéaste qui est d’exprimer la beauté de la forme et de la parole chez les gens filmés.»

2-Faire votre part en tant que cinéaste est donc une « valeur ajoutée» dans le débat actuel?

« Je voulais faire ma part en tant que créateur et observateur de la pauvreté du langage, des idées, de l’imagination qui règnent. Mon urgence était de pomper du sens sur la place publique au Québec à travers les gens réunis devant la caméra. Je voulais me mettre en chasse de la beauté de parole de ces gens-là. Il est pour le moins troublant d’avoir ce sentiment qu’au sommet de la pyramide politique, on retrouve des gens qui ne sont pas au même endroit que le reste de la société. Il est temps que ces gens se rendent compte qu’ils sont arrivés au XXIe siècle.»

3-Justement! En parlant de la pyramide politique, vous avez réussi à réunir devant votre caméra une espèce d’«équipe de rêve» de la gauche. À quand une offensive pour prendre le pouvoir?

(Rires) « Je crois que le Québec comme le Canada vont finir par basculer à gauche. Ce n’est pas audacieux de faire cette affirmation, tellement on a atteint une espèce de fond du baril. Il est vrai que les gens me demandent si, dans un esprit de cohérence citoyenne, je vais un jour faire le saut (en politique active). Je réponds souvent que mon travail est de faire des films et que j’aime ça. Mais je me dis qu’un jour, en effet, je devrai peut-être en arriver là.»

4-Il y a des gens de tous les âges et de tous les horizons dans votre film. Cette pluralité des voix vous était importante?

«Terriblement! Je souhaitais rassembler des gens de tous les âges et avoir une bonne répartition hommes-femmes. Les témoins sont âgés de 25 à 85 ans, ce qui constitue un large spectre. Il y a plusieurs jeunes, dans gens dans la trentaine, etc. Mais on y voit aussi ceux que j’appelle les grands sages, qui ont construit le Québec dans lequel nous vivons.»

5-En parlant de votre œuvre précédente, Manifeste en série, vous évoquiez un désir de fonder une sorte de famille. En réunissant 53 personnalités, votre abécédaire populaire va dans la même direction. Qu’en pensez-vous?

«C’est le pouvoir magique du cinéaste que de pouvoir rassembler autant de gens pour saisir l’esprit du temps. Ils ne sont pas toujours d’accord sur tout. Mais le but était d’être ensemble sans aucun autre sens que celui de la cohésion, d’exprimer une conscience collective sur la direction qu’on veut prendre.»

6-Que pensez-vous du mouvement «Occupy Wall Street»?

«Ce basculement est inévitable. On a vu dans les derniers mois, les dernières années, des peuples qui se soulèvent et se transforment comme dans le nord de l’Afrique et au Moyen-Orient. Pourquoi pas nous? Pourquoi ne pas inverser le cours des choses? Et on sait que chez nous, ces changements peuvent se faire dans le calme. Le passé nous montre qu’il est possible d’inverser le cours du modèle économique. Ça s’est vu en 1976 (avec l’élection du Parti québécois). Les gens élus à ce moment-là avaient peu d’expérience politique, mais formaient un des gouvernements les plus lettrés. On peut inverser le cours de l’Histoire.»

Le film est présenté aujourd’hui au FNC à 15h au Quartier latin, puis lors du grand événement citoyen du lundi 24 octobre à 19h à la SAT, après le colloque Pour une sociale démocratie renouvelée. Le film prendra ensuite l’affiche au Cinéma du Parc, à partir du 28 octobre, séances à 19h.