Il y a un peu de Jean-Paul Belleau et de J. Armand Bombardier dans Marcel Lévesque, personnage central du film Le vendeur de Sébastien Pilote. Mais il y aussi une part de mystère, de solitude et d'aliénation que l'interprète Gilbert Sicotte renvoie avec force à l'écran. Dans cette chronique sans histoire, où l'univers de Marcel se résume à ses chères voitures et sa petite famille, son personnage est plus complexe qu'on le croit. Portrait d'un humanisme sur quatre roues.

Le réalisateur Sébastien Pilote résume avec acuité le propos de son film Le vendeur lorsqu'il lâche tout haut, plus dans la réflexion que dans l'affirmation, qu'il n'est pas encore sûr que Marcel sache pourquoi il vend des voitures.

Tout est là! Dans cette zone floue, claire-obscure dont les contours, malgré tout, restent lumineux.

Mais assez d'épithètes. Rencontrez donc Marcel Lévesque, homme charmant et charmeur, littéralement vissé à sa région et à son travail, honorable, de vendeur de voitures neuves. D'ailleurs, il est tout aussi empressé de vous rencontrer et de vous inclure dans son - immense - cercle d'amis.

Il serait pourtant inopportun, voire erroné, de percevoir en Marcel la parfaite caricature de vendeur de chars.

«Lorsque je disais aux gens que je voulais parler d'un tel personnage, ils riaient, dit M. Pilote. Ils voyaient tout de suite un requin. C'était un beau défi pour moi de trouver une humanité à Marcel, de le rendre sympathique.»

L'affirmation se vérifie dès que Marcel sort de sa zone de confort. Ainsi, une fois les lumières du concessionnaire éteintes en fin de journée, il traverse la rue pour retrouver sa maison vide et austère. Sans la présence de sa fille Maryse (Nathalie Cavezzali) et de son petit-fils Antoine (Jérémy Tessier), avec qui il entretien une relation douce et tranquille, sa vie personnelle serait réduite comme peau de chagrin.

Sébastien Pilote, qui signe son premier long métrage, a puisé dans ses souvenirs d'enfance pour forger son personnage. «Enfant, j'aimais aller avec mon père au garage parce qu'il était l'ami de tous les vendeurs, dit-il. Tous l'appelaient par son nom et j'en étais fier. Dernièrement, lorsque j'ai acheté ma première voiture, je me suis rendu compte que moi aussi, j'étais l'ami de tous les vendeurs.»

Son personnage, il a choisi de le camper dans une relative solitude, où les paysages hivernaux et le groupe de travailleurs démoralisés de la seule usine - en lock-out - de la ville lui renvoient sa propre détresse intérieure. «Marcel est incapable de vivre sa vie autrement qu'en travaillant, dit M. Pilote. À travers lui, je voulais montrer une forme d'aliénation sociale et spirituelle.»

Lorsque M. Pilote a présenté son film aux États-Unis, d'aucuns se sont tout de suite reconnus. Les gens croyaient que le film portait sur eux, dit-il. Des habitants de Detroit sont venus me voir bouleversés, en pleurs, incapables de parler. C'est là que j'ai vu que la crise a fait beaucoup plus mal aux États-Unis.»

Proche de lui

Gilbert Sicotte s'est bien vite senti proche de ce personnage à qui il porte une affection évidente. Bien sûr, il a quelque chose de Jean-Paul Belleau, le beau parleur qu'il interprétait dans le téléroman Des dames de coeur à la fin des années 1980. «Marcel conte de belles menteries au monde pour qu'ils soient contents, lance le comédien. Je pense que Belleau faisait la même chose. Il disait des phrases un peu toutes faites parce que ça faisait plaisir aux femmes.»

Mais le comédien voit autant l'univers de J. Armand Bombardier, autre rôle majeur de sa carrière, se fondre dans celui de Marcel. «Quand j'étais petit, mon père était laitier. Avec lui, j'étais souvent dans cet univers d'hommes, de mécanique, de garage. Dans Bombardier comme ici, on était complètement dans cet univers», relate M. Sicotte.

Depuis la mort de sa femme, Marcel Lévesque n'a qu'une présence féminine dans sa vie, celle de Maryse, interprétée par Nathalie Cavezalli. Entre Marcel et Maryse, le courant affectif passe. «Dans la vie, je suis très proche de mon père, dit la comédienne. J'ai une bonne relation, très saine, avec lui. Cette histoire m'a donc beaucoup parlé. Ce que l'on voit le plus souvent dans les films, ce sont des relations à problèmes. Pas ici. Et je trouvais ça agréable qu'on aborde cet angle.»

Pour ce rôle de Marcel, Gilbert Sicotte a remporté le tout premier prix de cinéma de sa carrière, soit celui du meilleur acteur au récent festival de Mumbai. La meilleure actrice étant... Isabelle Huppert. Jacques Matte, le président du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, qui présentait Le vendeur en première québécoise la semaine dernière, a dit que Sicotte défendait ici le rôle de sa vie.

Plus modeste, le comédien reconnaît avoir réalisé une belle rencontre avec Marcel. «C'était un beau personnage à faire et j'avais plein d'affinités avec lui. Il était un personnage savoureux à incarner.»

Le vendeur en quelques dates

Janvier 2011

Première mondiale au Festival de Sundance (Utah)

Mai 2011

Prix de la critique internationale au Festival de San Francisco

Octobre 2011

Grand Prix du jury et prix du meilleur acteur (Gilbert Sicotte) au Festival de Mumbai en Inde

Novembre 2011

Première présence en Europe, au Festival de Mannheim (Allemagne)

11 novembre 2011: sortie au Québec

Prochain projet: Le démantèlement

Un père de famille, une retraite dans la solitude, une région. Intitulé Le démantèlement, le prochain projet du cinéaste Sébastien Pilote abordera sensiblement les mêmes thèmes et prospectera les mêmes eaux que Le vendeur.

« Ce film parlera d’un agriculteur qui, à 60 ans, décide de démanteler la ferme familiale pour subvenir aux besoins de ses deux princesses vivant dans la grande société montréalaise, expose M. Pilote. Cet agriculteur vit dans une région ressource du Québec et il devient, à sa manière, un père ressource. »

La décision du père porte toutes les marques de l’abnégation et du renoncement. « En vendant ses biens, l’homme va s’enterrer comme un vieux chien dans une petite chambre, en pension, ajoute le cinéaste. C’est un film sur un sacrifice qui sera, je crois, touchant et lumineux, même si dramatique. »
En donnant quelques détails sur son projet, Sébastien Pilote conserve la tête froide. Si son second long métrage s’inscrit dans la même veine que le premier, il est prématuré de parler d’une signature. « On ne se lève pas en disant je vais faire ceci ou cela », dit ce dernier.
N’empêche. Il aime bien les sujets porteurs, fédérateurs, qu’il puise dans les grands classiques de la littérature pour en faire son fond de commerce.

En tournant Le vendeur, des extraits de La cerisaie de Tchekov lui revenaient en tête. Pour Le démantèlement, il s’inspire du Père Goriot de Balzac et du Roi Lear de Shakespeare. « Ce sont des thèmes universels, vieux comme le monde, mais que j’exploite à ma manière », avance-t-il, la voix modeste.
Il espère tourner son film en 2012. Le scénario est terminé, dit-il. Il est en processus de casting. « J’ai des noms en tête, mais il est trop tôt pour en parler. »