Une vie meilleure de Cédric Kahn dénonce le capitalisme, à un moment précis où l’on se questionne, partout en Occident, sur ses dérives.

Le nouveau long métrage du cinéaste français de L’ennui et de Roberto Succo prend l’affiche au Québec vendredi, avant même sa sortie en France le 4 janvier. Cette coproduction franco-canadienne, présentée la semaine dernière dans le cadre du Festival Cinemania, a été tournée en partie à Montréal, Ottawa et North Bay, l’hiver dernier.

«Ce n’est pas parce qu’on a eu de l’argent canadien qu’on est venu tourner ici, dit Cédric Kahn, de passage à Montréal la semaine dernière. Le film a été écrit avec le Canada en tête. On n’aurait pas eu d’argent, on serait quand même venu tourner ici. C’était très naturel.»

Yann, un chef cuisinier sans emploi (Guillaume Canet, excellent), cherche une vie meilleure, qu’il espère trouver dans un grand local abandonné, en pleine forêt, au bord d’un lac, à une heure de Paris. Mais son projet de restaurant tourne rapidement au vinaigre. Yann n’a pas les moyens de ses ambitions, malgré ce que lui disent les banquiers, qui l’encouragent insidieusement au surendettement.

Une vie meilleure témoigne d’une situation sclérosée en France pour ceux qui veulent se sortir de la misère. «Je ne voulais pas spécialement viser la France, dit le cinéaste. Cette histoire de gens qui s’enlisent dans leurs dettes, je crois que j’aurais pu la raconter dans n’importe quel pays occidental. Ce que j’ai voulu raconter, c’est que dans ce système, le capitalisme, les gens n’ont plus beaucoup d’espérance.»

Le personnage de Yann n’est pas seul dans sa détresse. Il rencontre une jeune Franco-Libanaise, Nadia (Leila Bekhti), mère monoparentale d’un garçon de 9 ans, qui tente péniblement de joindre les deux bouts. Elle part au Canada, où on lui fait miroiter un travail plus payant. Yann reste avec le garçon. Mais bientôt, ils n’ont plus de nouvelles d’outre-Atlantique.

Cédric Khan s’est gardé de présenter le Canada, où se déroule la fin du film, comme l’Eldorado fantasmé par bien des Français. Même si la neige représente en quelque sorte une évasion, sinon un salut. «Je crois que c’est vrai, non, que le Canada est un pays qui traite bien ses étrangers ? Ce fantasme de l’immigration au Canada, il repose aussi sur quelque chose de vrai. Quand j’ai fait du repérage ici, j’ai visité les appartements sociaux, les quartiers plus pauvres. Il n’y a aucune comparaison possible avec ce que l’on retrouve en France. Le nombre joue. Le climat aussi. À cause du froid, on essaie, je crois, de loger les gens dans des conditions décentes.»

«Une vie d’enfer»
Le cinéaste de 45 ans perçoit son film comme une satire du capitalisme. «On vous promet une vie meilleure et en fait, vous avez une vie d’enfer», dit-il. Une vie meilleure est d’ailleurs le film le plus social du réalisateur de L’avion et Les regrets, dans la tradition d’un certain cinéma britannique. «Oui, reconnaît-il, il y a un virage. C’était une évidence. Ça s’est imposé à moi. Je me suis dit qu’il fallait que j’ouvre mon cinéma. Ça fait
20 ans que je fais des films. J’avais le sentiment d’être allé au bout de quelque chose.

C’était une question de survie, en tant que créateur.»

Une vie meilleure est un film dense, inspiré, qui aborde par l’intime un sujet universel, tout à fait d’actualité. «Ça fait longtemps que je suis intéressé par le surendettement des gens, dit Cédric Kahn. Je lis beaucoup là-dessus. Je cherche ce genre d’histoire dans les journaux. Parce qu’elles me touchent. C’est un sentiment d’injustice. Et un profond sentiment de dysfonctionnement. À partir du moment où les pauvres n’ont pas d’autres solutions que de s’appauvrir davantage pour essayer de s’en sortir, ça ne fonctionne plus du tout. Le surendettement porte tout le vice du système.»

Son film, dit-il, n’est pas un drame, mais une tragédie. «Les personnages mettent les pieds dans un système où ils sont forcément perdants. Ils sont à la frontière de la légalité dans leur montage financier et ils ne sont pas plus forts que la banque. Le système est plus fort qu’eux. Je ne voulais pas m’arrêter à ce constat-là. Ce qui m’intéressait, c’était le trajet intime des personnages. Il y a une faiblesse de ces personnages et elle est totalement exploitée par ceux qui les entourent. De manière cynique. Qui pousse les gens dans la détresse.»

La sortie d’Une vie meilleure coïncide avec les manifestations du mouvement des indignés, inspirés par Occupy Wall Street et l’essai de Stéphane Hessel, Indignez-vous. «Je ne l’avais pas anticipé ! , précise Cédric Kahn en riant. J’ai commencé à écrire le scénario alors que le bouquin n’était même pas sorti. Tant mieux. Ça veut dire que mon intuition a été celle de beaucoup de gens au même moment. Je n’ai aucune gêne à ce que mon film soit raccordé au mouvement. Je me sens tout à fait en accord avec ça. L’indignation ne suffit pas. Mais ça reste le premier pas pour changer les choses.»

Une vie meilleure prend l’affiche ce vendredi.