Il était passé où, Alexandre Payne, depuis Sideways, l’Oscar du meilleur scénario adapté et les autres quatre nominations aux statuettes dorées (dont celles du Meilleur film et du Meilleur réalisateur)? Dans le Hollywood compétitif, a-t-il pris les chemins de traverse plutôt que l’autoroute, à l’image des personnages incarnés par Paul Giamatti et Thomas Haden Church dans son film sorti en 2004? Il y a de ça.

«En fait, j’ai été occupé. Je suis allé à Paris, à Detroit, j’ai écrit un pilote de série télé, un scénario de long métrage qui n’a pas encore été produit, un des segments de Paris, je t’aime», dit en rigolant le cinéaste au bout du fil, alors qu’il venait de rentrer chez lui après avoir passé une semaine en Israël pour le mariage d’un ami d’enfance et participé au festival du film de Thessalonique, où il a présenté The Descendants – dont il signe le scénario et la réalisation.

Là, le cinéaste d’origine grecque (il est né Alexander Constantine Papadopoulos) a été surpris de se faire répéter que ce long métrage était «le plus grec» de ses films. Même s’il se déroule entièrement à Hawaii, en particulier à Honolulu. «Pour eux, l’histoire est celle des relations entre un homme et ses ancêtres, sa culture, ses racines; et comme ils me voient comme un Grec vivant en Amérique, ils interprètent The Descendants comme ma tentative de renouer avec la Grèce. Je n’avais pas pensé à ça… mais c’est intéressant», admet Alexander Payne, qui aime, comme il l’a prouvé dans Election et About Schmidt, laisser aux spectateurs de la place pour interpréter, extrapoler, imaginer, analyser.

Bref, il écrit, réalise et monte des films s’adressant «à un public que j’imagine plus intelligent que moi». C’est tout à l’honneur de cet homme brillant.

L’aventure de The Descendants a officiellement commencé pour lui en 2009. Il avait lu le roman de Kaui Hart Hemmings auparavant, et avait été interpellé par cette «histoire touchante d’un homme qui est en deuil de sa femme et découvre, alors qu’elle est en train de mourir, qu’elle lui était infidèle et voulait demander le divorce. Il décide alors de prendre la route avec ses deux filles, de trouver l’amant et de lui donner la possibilité d’aller faire ses adieux à la mourante. J’ai trouvé ça beau et inattendu.» Beau et inattendu aussi le fait que le récit se déroule au sein de l’aristocratie mourante d’Hawaii – puisque le personnage central, Matt King, est chargé de vendre (ou pas) un dernier coin de paradis vierge dont la famille élargie (cousins, oncles, etc.) a hérité des ancêtres hawaïens.

Mais s’il avait «senti» là un film, Alexander Payne avait à l’époque la tête à un autre scénario. Une fois celui-là terminé, il est retourné au livre. «Je me suis assis avec pendant trois semaines. C’est un récit très intérieur et je savais qu’il y aurait beaucoup de travail à faire pour le rendre cinématographique.» Après s’être convaincu qu’il pouvait en faire «une adaptation intelligente», il s’est mis au travail. Avec un acteur en tête: George Clooney. «Il était mon premier et mon seul choix. Jusqu’à son teint qui le rend crédible en tant que membre d’une famille ayant des ancêtres hawaïens! Je lui ai parlé du projet au festival de Toronto, en 2009, je lui ai envoyé le scénario en novembre et nous avons commencé à tourner en mars 2010.»

La star s’est ainsi glissée dans la peau d’un homme qui semble émotivement détaché de tout et qui, petit à petit, va se réapproprier sa vie en faisant des deuils et en se rapprochant de ses filles. Un homme de tous les jours. Un personnage à l’image de ceux qu’Alexander Payne nous a présentés dans Sideways et About Schmidt. Ni héros ni antihéros. Portant leurs drames d’hommes à hauteur d’hommes. «George a fait tellement de choses, je savais qu’il pouvait comprendre et incarner le personnage. En plus, il est réalisateur. Un acteur qui a réalisé rend le travail plus facile à ses réalisateurs», affirme le cinéaste qui, grand amateur de films muets (il a adoré The Artist de Michel Hazanavicius), s’attarde beaucoup, sinon essentiellement, à l’aspect visuel des récits qu’il porte à l’écran. Cela saute… aux yeux, dans The Descendants.

«Je suis heureux que les gens aiment mes dialogues, mais si réaliser consiste pour moi à écrire, à diriger des acteurs, à placer des caméras et à monter, ce qui m’importe le plus n’est pas la première partie», souligne celui qui fait partie de la courte liste des réalisateurs ayant droit au montage final de leurs oeuvres et qui, ici, livre ce que certains considèrent comme son premier drame. Lui? «Si c’est un drame, c’est un drame signé par un réalisateur de comédies, donc avec une touche de légèreté. Si c’est une comédie, elle est dramatique et noire.»

Un film adulte, aussi. Incontestable­ment signé Alexander Payne, qui s’estime chanceux, dans le Hollywood d’aujourd’hui, de pouvoir faire les films qu’il veut; et qui rêve «d’une carrière comme celle des réalisateurs des années 70, qui pouvaient créer des histoires humaines, des histoires adultes, des histoires qui présentent des défis; et des films restant à l’affiche plus de trois semaines». Pour l’instant, il a pu faire cela «parce que, pour une raison ou pour une autre, mes films ont rapporté de l’argent. Il faut seulement que j’apprenne à travailler plus vite.»

On le lui souhaite – et on se le souhaite.

 

The Descendants (Les descendants) prend l’affiche le 25 novembre.