Depuis longtemps, Wiebo Ludwig, leader d'une communauté religieuse ultraconservatrice établie dans le nord de l'Alberta, se bat contre les compagnies pétrolières et gazières dont les activités, dit-il, minent la santé de ses proches. Athée convaincu, le réalisateur et producteur David York est allé à sa rencontre.

Riche, dramatique, parfois horrible, l'histoire de Wiebo Ludwig et des membres de sa communauté possède tous les ingrédients d'une bonne télésérie: une communauté religieuse repliée sur elle-même et vivant pratiquement en autarcie, une lutte du genre David contre Goliath, des actes terroristes, des interventions policières et même la triste mort d'une adolescente.

«C'est shakespearien, dit en entrevue le réalisateur David York qui en a tiré un long métrage documentaire, La guerre de Wiebo, coproduit par sa compagnie (52 Media) et l'ONF. Dans Shakespeare comme chez les Ludwig, les défauts des principaux personnages sont révélés à travers leurs luttes.»

Nous sommes dans les années 90 à Trickle Creek, à 700 kilomètres au nord d'Edmonton. Wiebo Ludwig et sa famille sont établis sur une terre où ils pratiquent l'agriculture et l'élevage tout en respectant de strictes règles chrétiennes. Leur ferme est assise sur un immense champ gazier. Une compagnie s'installe à proximité et entame des forages. Peu de temps après, du bétail meurt mystérieusement, quelques femmes font des fausses couches, les enfants ont des brûlures aux corps en jouant dans l'eau, des flammes jaillissent du robinet lorsqu'on approche un briquet.

À l'opposé, on enregistre plusieurs actes terroristes contre les installations des compagnies établies autour de la ferme. Pire encore, une adolescente est mystérieusement tuée par balle à la suite d'un «raid» de quelques jeunes en camionnette sur la propriété. Les soupçons se tournent vers les membres de la communauté. Le peu de liens existants avec le voisinage est rompu. La police enquête. Le 8 janvier 2010, quelque 200 policiers de la GRC débarquent sur la ferme à la recherche de preuves. Ils en repartiront bredouilles trois jours plus tard.

C'est cette fascinante histoire que David York retrace dans son film. Athée convaincu et qui ne s'en cache pas, il a mis un an à convaincre les Wiebo de le laisser tourner un film. «En fait, je ne voulais que le produire. Mais les négociations ont été si ardues que j'ai décidé de le faire moi-même, car j'avais tissé des liens avec eux. Et encore! Au cours des 70 jours passés sur deux ans au sein de la communauté, ils m'ont jeté deux fois dehors! Mon athéisme dérangeait.»

Même si on sent que le réalisateur a développé un certain attachement aux membres de la communauté, il prend soin de constater et non de prendre parti. «Il y a bien des choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord, dit-il. Je suis mal à l'aise, par exemple, avec la façon dont Wiebo évoque la mort de l'adolescente. Par contre, il y a des torts de l'autre côté aussi. Tout le monde a pris bien à la légère les cas de maladie. Comment auriez-vous réagi dans une telle situation? Moi, je ne sais pas.»

Des membres de la famille Ludwig ont séjourné chez les York au moment de la sortie du film, aux Hot Docs, festival de documentaires de Toronto. «Ils ont bien vu que nous vivions normalement. L'un d'eux m'a avoué que cela avait changé leur vision de la ville, qu'ils ne la voyaient plus comme un repère de pécheurs», rigole le réalisateur.

La guerre de Wiebo est présentée à la Cinérobothèque à compter d'aujourd'hui.